Abououoba

Abououoba

Disparition de Thom Sank : 25 ans déjà, et les mêmes coups de sang

Disparition de Thom Sank : 25 ans déjà, et les mêmes coups de sang

jeudi 11 octobre 2012

 

Le 15 octobre prochain marque le 25e anniversaire de la disparition du Capitaine Thomas Sankara. Considéré à tort ou à raison comme le « père de la Révolution démocratique et populaire », son nom et son héritage peinent toujours à entrer officiellement dans l’histoire d’un Burkina Faso qui a pourtant « rectifié » la révolution sans jamais tourner la page. Certes, pro et anti-sankaristes ne se regardent plus en chiens de faïence. Certains même trempent leur barbichette dans la même soupière. Mais le contentieux demeure, celui du statut officiel que la mémoire collective nationale doit garder du disparu.

 

On peut dire que le régime actuel a fait un pas qualitatif en avant en baptisant une des principales avenues du centre-ville du nom du Capitaine Thomas Sankara. C’était le 28 décembre 2006, date à laquelle la municipalité de Ouagadougou a décidé d’inscrire les noms de chacun des anciens chefs de l’Etat sur les artères de la capitale. En même temps que Maurice Yaméogo, Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo et Jean-Baptiste Ouédraogo, Thom Sank a eu sa rue, celle qui passe devant l’hôpital Yalgado et s’achève ou commence par le mythique Rond-point des Nations unies. Pour certains observateurs de l’histoire du pays des Hommes intègres, un tabou venait d’être brisé. Le nom de l’ancien président assassiné le 15 octobre pouvait figurer sur une grande artère.

Mais l’arbre n’a pas caché la forêt. L’absence de la famille du président défunt à cette cérémonie qui se voulait solennelle était le signe d’un achoppement. C’était même un mauvais présage pour ceux qui croyaient percevoir le début d’une « paix des braves » et une relance du processus de « réhabilitation de Thomas Sankara ». On se rappelle qu’en avril 2000, un décret présidentiel a ordonné l’érection d’un mausolée en la mémoire du Capitaine. Mais cette ordonnance est restée désespérément lettre morte. La réhabilitation est tombée en panne, pour ne pas dire qu’elle est restée en cours de chemin. Après le coup d’éclat de l’avenue, il n’y a plus rien eu. Le totem a repris toute sa place.

Pendant ce temps, sa veuve, Mariam Sankara, et les avocats du Capitaine ont multiplié des actions pour que leur cause soit entendue par les justices burkinabè et internationale. Là également, les choses avancent si lentement que les sceptiques se demandent s’il ne faut pas attendre Godot. Pour l’apurement du contentieux judiciaire auquel se sont invitées des instances tel le Comité des droits de l’homme de l’ONU, les choses ne sont pas aussi simples comme on peut l’imaginer. Mais l’honneur du Burkina n’est pas moins écorché si ce dossier n’aboutit pas d’abord au niveau domestique. C’est, du moins, ce qui explique que l’affaire n’est pas officiellement classée mais elle n’avance véritablement pas. Du coup, elle laisse une tache noire dans la mémoire collective.

En plus de la panne judiciaire, il faut aussi compter la panne idéologique des partis et formations politiques qui se réclament de l’idéal sankariste. Généralement sans charisme véritable et trop souvent plus préoccupés par leurs intérêts égoïstes, la plupart des leaders politiques qui se sont accrochés au sankarisme comme une bouée de sauvetage social ont plus contribué à nouer les idées du Capitaine plus qu’à les faire émerger. Leurs querelles de clochers et leurs mesquineries sans vergogne n’aident pas leurs militants à se convaincre de la nécessité de leur faire confiance et de s’engager à traduire les idées qu’ils défendent dans le champ du concret. Bref, les sankaristes à la petite semaine qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nombril ont donc leur part de responsabilité dans les travers du processus de réhabilitation.

Au total, on peut regretter l’immobilisme du pouvoir en place, mais aussi la légèreté politique de ceux qui se réclament de l’idéologie sankariste. Mais la question de la « justice pour Sankara » - au propre comme au figuré - demeure un défi qui va au-delà des clans et du régime. Vingt-cinq années après la disparition tragique de cet ancien chef d’Etat qui est célébré à l’extérieur du Burkina comme un « héros » et un « panafricaniste », il est peut-être temps que l’Etat burkinabè situe l’opinion internationale sur la place qui doit être la sienne dans la mémoire de ses compatriotes. C’est un devoir qui va bien au-delà des considérations partisanes ou particulièrement liée à un homme.

Car l’histoire des peuples et des Etats n’est pas seulement faite de faits glorieux, mais aussi d’épreuves et d’actes difficiles à supporter par certains et insurmontables pour d’autres. Les grands hommes d’Etat, ce sont justement ceux qui assument tout cela, même avec ce que cela comporte de pénible pour eux-mêmes pris individuellement. Tôt ou tard, il va falloir vider ce contentieux qui n’a que trop duré. Plus on le contourne, moins on pourra en tirer des leçons pour le présent et pour l’avenir. Malgré les limites qui ont été celles de son action à la tête de l’Etat, Thom Sank, plus que d’autres, mérite d’entrer au panthéon de l’histoire du Burkina. Un panthéon qui reste certainement à construire pour prévenir des coups de sang et aider ainsi ceux qui usent et abusent du pouvoir d’Etat et d’autres pouvoirs de s’y préparer en toute connaissance de cause.

F. Quophy

 

Journal du Jeudi




12/10/2012
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres