Abououoba

Abououoba

Un quart de siècle pour le régime Compaoré

Un quart de siècle pour le régime Compaoré

jeudi 11 octobre 2012

 

Le 15 octobre, Blaise Compaoré célèbre ses 25 ans de pouvoir sans tambour ni trompette. Et sans dévoiler sa stratégie pour le prochain quart de siècle.
16 octobre 1987. Thomas Sankara, abattu la veille, a été enterré en catimini au cimetière de Dagnoën, dans un quartier est de Ouagadougou. Devant la presse internationale, l’autoproclamé président du Faso Blaise Compaoré, jusqu’alors numéro deux du régime, évoque la disparition brutale de son prédécesseur.

 

Manifestement intimidé, maigrelet entre ses épaulettes de capitaine, laborieux dans son expression, les yeux peu à peu perdus dans le vide, il évoque la tristesse « d’avoir perdu un ami ».

Il y ajoute un regret : « que cet ami, à un moment de sa vie, ait pensé à nous liquider… Dommage… ». Fantoche ? Dépassé par les évènements ? Insoupçonnable comédien dont le ton assurera sa pérennité dans le théâtre politique africain ? Dans cette ancienne Haute-Volta qui en est à son quatrième coup d’Etat, les observateurs subodorent que ce régime ne passera pas l’hiver…

19 septembre 2012. L’ancien putschiste est en visite d’amitié et de travail en France. Dans les studios de la chaîne de télévision France 24, le civil Blaise Compaoré ne fait toujours pas montre de talents d’orateurs.

Pourtant plus à l’aise qu’en 1987, le sexagénaire, médiateur taxé d’immobilisme dans la crise malienne, évoque les indépendantistes de l’Azawad. Non sans esprit, avec un culot certain, quoiqu’en douceur, il renvoie les journalistes français dans les cordes : « il y a des Corses qui demandent l’indépendance, mais on ne les attaque pas »… Compaoré lançait la « Rectification »

Miraculé de la politique africaine, doyen des chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest, Blaise Compaoré fête, le lundi 15 octobre 2012, son quart de siècle de pouvoir. Depuis la mort de son ami Kadhafi, il est le sixième chef d’Etat africain dans le classement de la longévité présidentielle. Ne le toisent plus que Teodoro Obiang Nguema, José Eduardo dos Santos, Robert Mugabe, Paul Biya et Yoweri Museveni. Aucun n’est aussi jeune que Compaoré. Et Compaoré est, dans cette escouade, le moins boudé à travers le monde.

Pour les chancelleries occidentales qui traquent les régimes à processus démocratique douteux, ce n’est certainement pas le moment de dédaigner le pôle de stabilité ouest-africain que représente le Burkina Faso. Le Mali voisin est dans un trou noir. La Côte d’Ivoire voisine peine à se réconcilier avec elle-même. Le Togo voisin est dans la tourmente sociale. Le Niger voisin se réinitie à la démocratie après l’ère Tandja. Le Ghana voisin se remet de son deuil présidentiel...

Inutile de froisser l’ancien putschiste burkinabè, d’autant que ce pôle actuel de stabilité était considéré, au début de son règne, comme un pôle de déstabilisation en Sierra Leone, au Liberia ou en Côte d’Ivoire.

D’autant que le pyromane est devenu pompier, Blaise Compaoré ayant porté plusieurs casquettes de médiateur, de la Côte d’Ivoire au Togo, de la Guinée au Mali. Alors, on sourit aimablement à ses “blagues corses”. Même lorsque les résultats de ces médiations ne sont objectivement pas au rendez-vous (hormis quelques libérations d’otages aux contours ambigus), rien ne coûte, aux Français échaudés par Abidjan ou Tripoli, d’adouber ce VRP de la paix. Trop de médiation, même en trompe l’œil, ne gêne pas, comme l’enseigne le proverbe « trop de viande ne gâte pas la sauce ».

Médiateur de façade ou véritable clef du conflit malo-malien, Compaoré profite de ce statut international pour ne plus mettre les mains dans le cambouis de la politique nationale burkinabè. Bien qu’avare, comme Paul Biya, en adresses à la Nation, le Burkinabè, actif à l’étranger, ne peut être taxé pour cette somnolence politique qu’on attribue au Camerounais.

Le péché originel est-il lavé ?

Quand la grogne sociale le dispute à la mutinerie militaire, les Premiers ministres jouent leur rôle de fusible. Le Président du Faso maintient son “altitude” et verrouille son pouvoir de la manière la plus implacable : par des scrutins eux aussi homologués par les observateurs internationaux.

Le péché originel semble lavé. En 1987, Compaoré lançait la « Rectification » de la période sankariste, avant de ressusciter l’Etat de droit, via la IVe République, en 1991. Elu président la même année, puis en 1998, en 2005 et en 2010, il sera locataire du palais de Kosyam jusqu’en 2015. Sans avoir notoirement bourré les urnes ; en ayant caressé dans le sens du poil les chefs traditionnels qui constituent un relais déterminant au cœur d’une population à la culture démocratique approximative ; en ayant composé avec les grandes fortunes capables “d’américaniser” des campagnes électorales dont les financements sont mal contrôlés ; en ayant alternativement débauché et licencié des opposants mal ancrés dans une grille idéologique toujours vaporeuse ; en restant aussi silencieux que possible.

Silencieux, il l’est particulièrement en cette période d’anniversaire. Si les 20 ans de pouvoir du régime avaient été célébrés à grand renfort de colloques sur la « renaissance démocratique », les partisans de Compaoré devraient, cette fois, faire profil bas. C’est qu’il est de plus en plus indécent de s’éterniser au pouvoir. C’est que les clameurs des commémorations sankaristes que les festivités compaoristes devaient étouffer commencent à être blasées. C’est que le principal parti de la majorité, le Congrès pour la démocratie et le progrès, vient d’être lessivé en interne, dans la perspective des prochaines législatives, déboulonnant nombre de caciques qui soutinrent ce quart de siècle de pouvoir.

La pudeur dominera donc ce 15 octobre…

Il restera la question de l’avenir. L’actuelle version de la constitution n’autorise plus Blaise Compaoré à être candidat à une présidentielle. On prêtait au CCRP (le Conseil consultatif sur les réformes politiques mis en place en 2011) la volonté de déverrouiller l’article 37 qui établit la limitation des mandats. Le signal d’une volonté d’agripper le pouvoir a laissé place au signal d’une volonté de le quitter : le CCRP a accouché d’une… amnistie pour les anciens chefs d’Etat. Les deux autres ex-présidents vivants -Jean-Baptiste Ouédraogo et Saye Zerbo- ayant été jugés par les Tribunaux populaires révolutionnaires des années 80, qui a encore quoi à se reprocher ?...

Plus malin que brillant, mais brillamment machiavélique, Blaise Compaoré voit se profiler devant lui trois hivernages dans le palais présidentiel. Coïncidence ? Son frère François, jusqu’alors en marge de la politique politicienne, vient de placer ses pions dans le CDP, juste avant de se déclarer candidat aux législatives de décembre. A force d’être limpides, les voies des Compaoré sont impénétrables. A moins que ce ne soit l’inverse.

Damien Glez

SlateAfrique (www.slateafrique.com)




12/10/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres