Abououoba

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L’armée selon Thomas Sankara

Pendant 4 ans, le Conseil National de la Révolution a su inculper aux Burkinabè, individuellement, indépendamment de leur situation socioprofessionnelle, l’esprit d’être une pièce d’un puzzle que constitue la société. Les militaires également. A quelques mois d’une série de mutinerie qui a failli faire basculer la IVème République, il nous semble opportun de revisiter les pages de l’histoire du CNR sur l’image que Thomas Sankara voulait qu’on ait des militaires. Qui sait mieux en parler, si ce n’est lui-même ? Nous vous proposons des extraits de discours et d’interview où le président du CNR donne la vision de l’armée sous la révolution. L’histoire est faite pour y tirer des leçons !

" La révolution dicte aux Forces armées nationales trois missions "

" - 1) Être en mesure de combattre tout ennemi intérieur et extérieur, et participer à la formation militaire du reste du peuple. Ce qui suppose une capacité opérationnelle accrue faisant de chaque militaire un combattant compétent au lieu de l’ancienne armée qui n’était qu’une masse de salariés.

- 2) Participer à la production nationale. En effet, le militaire nouveau doit vivre et souffrir au sein du peuple auquel il appartient. Finie l’armée budgétivore. Désormais, en dehors du maniement des armes, elle sera aux champs, elle élèvera des troupeaux de boeufs, de moutons et de la volaille. Elle construira des écoles et des dispensaires dont elle assurera le fonctionnement, entretiendra les routes et transportera par voie aérienne le courrier, les malades et les produits agricoles entre les régions.

- 3) Former chaque militaire en militant révolutionnaire. Fini le temps où l’on prétendait à la réalité de la neutralité et de l’apolitisme de l’armée tout en faisant d’elle le rempart de la réaction et le garant des intérêts impérialistes !

Fini le temps où notre armée nationale se comportait tel un corps de mercenaires étrangers en territoire conquis ! Ce temps-là est désormais révolu à jamais. Armés de la formation politique et idéologique, nos soldats, nos sous-officiers et nos officiers engagés dans le processus révolutionnaire cesseront d’être des criminels en puissance pour devenir des révolutionnaires conscients, étant au sein du peuple comme un poisson dans l’eau. Année au service de la révolution, l’armée nationale populaire ne fera de place à aucun militaire qui méprise son peuple, le bafoue et le brutalise. Une armée du peuple au service du peuple, telle est la nouvelle armée que nous édifierons à la place de l’armée néo-coloniale, véritable instrument d’oppression et de répression aux mains de la bourgeoisie réactionnaire qui s’en sert pour dominer le peuple. Une telle armée, du point de vue même de son organisation interne et de ses principes de fonctionnement, sera fondamentalement différente de l’ancienne armée. Ainsi, à la place de l’obéissance aveugle des soldats vis-à-vis de leurs chefs, des subalternes vis-à-vis des supérieurs, se développera une discipline saine qui, tout en étant stricte, sera fondée sur l’adhésion consciente des hommes et des troupes.

Contrairement aux points de vue des officiers réactionnaires animés par l’esprit colonial, la politisation de l’armée, sa révolutionnarisation, ne signifie pas la fin de la discipline. La discipline dans une armée politisée aura un contenu nouveau. Elle sera une discipline révolutionnaire. C’est-à-dire une discipline qui tire sa force dans le fait que l’officier et le soldat, le gradé et le non-gradé se valent quant à la dignité humaine et ne diffèrent les uns des autres que par leurs tâches concrètes et leurs responsabilités respectives. Forts d’une telle compréhension des rapports entre les hommes, les cadres militaires doivent respecter leurs hommes, les aimer et les traiter avec équité ".

Discours d’orientation politique

- 2 octobre 1983

" L’armée ne doit pas être un poids pour le peuple "

Q : Il y a quelques mois vous avez dit qu’un militaire non politisé était un criminel en puissance. Dans cette nouvelle étape que vit la Haute-Volta, le militaire va-t-il jouer un rôle beaucoup plus militant que militaire ?

Thomas Sankara  : Nécessairement. D’abord parce que l’armée est une nécessité, un outil, un instrument contre toute sorte d’ennemis, qui peuvent eux aussi employer ces méthodes-là. Il faut leur opposer des professionnels, qui sachent lutter, se battre. Mais d’une part l’armée ne doit pas être un poids pour le peuple, sur le plan du budget, du soutien de l’entretien. D’autre part, l’armée ne doit pas être un moyen de troubler et d’inquiéter les masses. Au contraire on doit les rassurer. En fait l’armée, de part tous les avantages dont elle dispose, doit être à l’avant-garde du combat révolutionnaire. Si bien que, pour nous, l’armée voltaïque, aujourd’hui, est une armée qui est appelée à se transformer fondamentalement. Une armée qui doit quitter son cadre néo-colonial, pour devenir véritablement révolutionnaire aux côtés des masses populaires. C’est-à-dire que maintenant, le militaire ne doit plus se considérer comme un mercenaire, comme un salarié chargé d’exécuter des besognes, basses besognes, étranger au sein du peuple mais au contraire se sentir comme un élément du peuple, et à qui une mission particulière a été confiée. Cela inclut la défense du territoire, la défense des intérêts du peuple, sa protection et sa sécurité. C’est aussi la participation à la formation militaire du peuple et à la résolution des problèmes concrets de celui-ci, donc à la lutte pour le pouvoir économique. Nous verrons les militaires aux champs, gérer des fermes agricoles, s’occuper de l’élevage. Notre doctrine dit que la défense du peuple ne peut être confiée qu’au peuple. Celui-ci ne peut pas déléguer sa défense à quelqu’un d’autre, à un groupe quelque soit sa compétence technique. Le peuple se défend lui-même. Certes, dans l’organisation de la défense, les rôles ne seront pas les mêmes, certains seront plus spécialisés dans tel ou tel domaine. Tout comme dans l’armée elle-même. Certains se spécialisent dans l’infanterie, d’autres dans la cavalerie, d’autres encore dans l’aviation. Mais tout cela ne peut se faire que lorsqu’on a confiance au peuple, et surtout quand on a sa confiance.

Combien peuvent oser encourager le peuple dans cette voie ? Ils ne sont pas nombreux. Ceux qui sont les ennemis du peuple préfèrent s’appuyer sur une armée, donc sur un groupe d’hommes de la société qui consolide leur régime, leur pouvoir. Ils refusent les armes au peuple et le tiennent en respect. Ce n’est pas notre cas. Nous n’avons pas peur de le former militairement. Parce qu’il a confiance en nous et que nous avons confiance en lui. Le peuple sait que nous combattons les mêmes ennemis que lui, que nous sommes avec lui, que nous sommes en lui.

L’armée néo-coloniale qui faisait du militaire un privilégié de la société, cette armée-là est maintenant révolue. Et cela va jusqu’au combat contre l’élitisme. Nous sommes contre la formation élitiste du militaire qui a l’impression que son statut social le classe au-dessus du peuple. Nous sommes contre également les attitudes petites-bourgeoises de l’armée qui croit que le militaire doit être considéré, doit être mieux traité que les autres, et n’a pas les mêmes devoirs. Nous sommes contre cela.

Propos recueillis par Saïd Ould-Khelifa, Publié dans l’hebdomadaire Révolution N°196 du 2 décembre 1983 p. 58 à 61.

" L’armée est une composante du peuple voltaïque, (…) qui connaît les mêmes contradictions que les autres couches de ce peuple voltaïque "

" Première question : retour de l’armée dans les casernes. Vous affectionnez cela, c’est votre droit. Mais comprenez que pour nous, il n’y a pas les révolutionnaires dans les casernes et ceux qui sont hors des casernes. Les révolutionnaires sont partout. L’armée est une composante du peuple voltaïque, une composante qui connaît les mêmes contradictions que les autres couches de ce peuple voltaïque et nous avons fait sortir le pouvoir des casernes. Vous avez remarqué que nous sommes le premier régime militaire à n’avoir pas établis notre quartier général dans un camp militaire. Cela est hautement significatif, mieux : nous l’avons installé au Conseil de l’entente. Vous m’avez compris.

Il ne s’agit pas pour les militaires de prendre un jour le pouvoir et de le rendre un autre jour. Il s’agit pour les militaires de vivre avec le peuple voltaïque, de souffrir avec lui, de se battre avec lui à tout moment.

Donc, il n’y a pas d’échéance qui tienne. Bien sûr, vous pensez, j’en suis convaincu, à ceux qui déclaraient que les militaires ne doivent plus faire de la politique. Ceux-là avaient enchanté certains milieux voltaïques pour lesquels certains militaires ne devaient plus faire de la politique. C’est tout ce que cela voulait dire. La preuve, c’est qu’il y avait des militaires au pouvoir qui le déclaraient pour maintenir d’autres militaires en résidence surveillée ".

Interview du 21 Août 1983 à la Radio Nationale du Burkina

Eléments rassemblé par Jean P. Bamogo



15/08/2011
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