Abououoba

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Thomas Sankara : Un passionné de musique

Thomas Sankara : Un passionné de musique

vendredi 2 novembre 2012

 

Dès l’adolescence, Thomas Sankara a aimé la musique. Son instrument préféré, la guitare. Pour montrer son attachement à cet art, il a mis en branle un certain nombre de projets, dont la création des orchestres comme les petits chanteurs au poing levé et les colombes de la Révolution à son accession au pouvoir en 1983. Auparavant, il avait créé le Missil Band de Pô du temps où il y était comme commandant du CNEC. Dans les années 1950, le petit Thomas vit avec ses parents à Gaoua. Au camp garde comme au camp gendarme de la ville où son père exerce comme gendarme, Thomas et les enfants des militaires vivent ensemble comme dans une seule famille. L’aîné des enfants des gendarmes, Pascal Kayouré Ouédraogo, est au CM et Thomas au CP.

Thomas Sankara :  Un passionné de  musiqueIls se retrouvent chaque soir pour jouer au Goumbé avec d’autres enfants. Vers la fin de l’année 1950, Pascal obtient son certificat et s’en va au collège. En 1962, Thomas obtient aussi son certificat et son entrée en 6ème et rejoint le lycée Ouézzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso. C’est quand il vient en seconde au Prytanée militaire de Kadiogo (PMK) à Ouagadougou qu’il retrouve Pascal Kayouré Ouédraogo. Après son cycle au Cours normale, Pascal avait déserté l’enseignement pour s’adonner à la musique. Sankara le fréquente à Koulouba. Avec ses camarades musiciens de ATIMBO, Pascal avait loué une maison dans ce quartier. Curieux, Thomas Sankara marque un intérêt particulier pour l’apprentissage de la guitare.

« Quand il arrivait, j’allumais une guitare électrique pour lui. Mais dans le fond, je ne voulais pas l’apprendre parce que les parents n’aimaient pas que leurs enfants deviennent musiciens. Nous étions considérés comme des voyous. », affirme Pascal Ouédraogo. « Mais il était dévoué pour l’apprentissage que je ne pouvais pas faire autrement. », avoue-t-il. Un jour, Pascal est surpris de voir Sankara jouer à un bal de fin d’année de l’Ecole Normale, aujourd’hui lycée Bogodogo.

Sankara et la vespa de Pascal

Vers la fin de l’année, le groupe de Pascal, ATIMBO est convié pour le boom des fins des cours. Sankara assiste au spectacle. Mais au petit matin, Pascal constate que sa Vespa GS 175 est crevé. En tant que grand frère, il dit à Sankara de tout faire pour que la moto arrive à la maison. Sankara la trimbale malgré sa lourdeur. Il parvient à l’amener jusqu’à Koulouba. Pascal croit savoir que dans le domaine de la musique, Sankara avait pour idole Sekou Bembeya du mythique groupe Bembeya Jazz de la Guinée. Il admirait également Francois Tapsoba et Jacques Souly pour leur dextérité dans le grincement de la guitare. Le premier était de L’Harmonie voltaïque et le second de ATIMBO.

Dans l’apprentissage avec Pascal, Sankara assimilait vite. Il exécutait bien les partitions. Ses fausses notes, c’était au niveau du tempo. Il a tenté de corriger cette insuffisance toute sa vie, confie Pascal. Pascal tente de le convaincre de ne pas en faire un problème car pour lui, chacun doit exceller dans son domaine. Il prend en exemple Napoléon, le grand conquérant et Mozart le grand artiste. Par conséquent, ce n’était pas la peine de vouloir coute que coute devenir un excellent soliste malgré ses charges d’homme d’Etat. Chasser le naturel, il revient au galop.

Sankara, le créateur d’orchestres

Après son cycle d’étude à Antsirabé à Madagascar, Sankara revient au pays. Il est révélé au grand public lors de la guerre de 1975 avec le Mali. Certains officiers supérieur le trouvent très turbulent à leur goût. Il faut l’éloigner de la capitale. Le président Lamizana lui confie alors la mission de mettre sur pied un centre d’entrainement commandos. Sankara est libre du choix du site devant abriter le centre. Il choisit Pô. Avec ses hommes, ils font le trajet Ouaga-Pô (147km) à pied. Sur place, il veut intégrer les soldats dans la vie active avec les populations. Pour faciliter la collaboration, il dote le Centre national d’entrainement commando (CNEC) d’un orchestre dénommé Missil Band. Le sergent à la retraite, Roger Mina Dofini Bihoun, membre du Missil Band, se rappelle comme hier, ce bon vieux temps. Le commandant lui-même était très souvent avec eux pour les répétitions et les concerts.

Il touchait à tous les instruments. De la guitare basse à l’orgue ou de la Tumba au chant… Sié Dabiré, Anandan Dabiré, Jean Pierre Bembemba, Jean Pierre Guigma, Siambo Jean, Inoussa Congo, Bihoun lui-même… étaient les principaux animateurs de l’orchestre des para- commandos.

« Pogto Biiga », une composition de Missil Band

Ils ont à l’époque composé des chansons comme « Pogto Biiga » (l’enfant de la coépouse), « Sanata »… des œuvres que la radio nationale jouait pendant les plages musicales. Mais ils ne s’empêchaient pas aussi de reprendre les succès des formations musicales comme L’Harmonie et même des orchestres de renom du continent africain ou d’ailleurs. Ils étaient invités à animer des soirées mais ils prestaient le plus souvent au Foyer commando appelé aujourd’hui Commando Woro à Pô. Chef militaire, la passion musicale ne le quitte pas. Devenu président, il continue d’aimer la musique et monte des projets dans ce sens. C’est ainsi qu’il confie la création de deux orchestres à deux musiciens connus de l’époque, Maurice Simporé et Abdoulaye Cissé.

Les Colombes étaient formées par l’homme à la guitare, Sobriquet de Abdoulaye Cissé. Maurice Simporé, le « Rourougou », nom d’un reptile en mooré, s’occupe des Petits chanteurs aux poings levés. Abdoulaye Zon dit Ablo, jeune musicien d’une trentaine d’années, fut partie des premiers enfants recrutés pour le compte des Petits chanteurs aux poings levés. Pour Ablo, c’était une aventure merveilleuse. Ils étaient dans un premier temps internés derrière le lycée Bogodogo et plus tard au lycée Marien N’Gouabi. Leurs études étaient prises en charge par l’Etat. Les responsables des deux orchestres avaient des briefings avec le Président Thomas Sankara à la présidence. Souvent, il les rejoignait pendant la répétition.

Il lui arrivait de jouer avec eux. Pour Ablo Zon, le Président Sankara avait une des meilleures marques de guitare et jouait assez bien à la guitare solo. Pendant la période, ils ont fait des enregistrements à la radio nationale et quelques fois sur une terrasse derrière le lycée Marien N’Gouabi. Mais les intempéries et le manque de soin ont eu raison d’une grande partie de ces supports audiovisuels. Le Président Thomas Sankara, après le travail, faisait de la musique avec ses collaborateurs épris aussi de musique et les encadreurs qui formaient les enfants et les filles.

« Tout à coup Jazz », l’orchestre de la Présidence

Ils avaient dénommé leur orchestre Tout à Coup Jazz. Sibiri Oumar Traoré, Sanou Bernard, le colonel Sanou, le patron du Service national de développement décédé récemment et bien d’autres plus le Président Sankara jouaient la musique après la descente du travail. Une des rares sorties de Tout à Coup Jazz fut Gaoua 84 lors de la cérémonie d’ouverture de la Semaine nationale de la Culture (SNC) au Théâtre Populaire Pâlé Nani. Par coïncidence, Les Petits chanteurs, les Colombes et leurs encadreurs étaient en tournée dans la région. Lors de ces tournées, il arrivait que le Président Sankara monte au podium pour jouer. L’ère Sankara a été aussi ponctuée des grands rendez- vous musicaux. La venue de la star jamaïcaine Jimmy Cliff en 1984 par le truchement de Moustapha Laabli Thiombiano, vieil ami de l’artiste. Le concert des musiciennes africaines en 1986 dont le concept avait été dénommé choc des Stars et le projet d’organisation du Festival international de la musique de Ouagadougou (FESIMO) achèvent de convaincre que Le Président Thomas Sankara, toute sa vie, s’était passionné pour la musique.

Le reproche qu’on fait à la Révolution et au capitaine artiste, c’est d’avoir laissé les anciens orchestres des années 60-70 mourir. Son premier maître qui l’a initié à la guitare, Pascal Kayouré Ouédraogo, dit qu’à l’avènement de la Révolution, beaucoup de grandes formations musicales de l’époque étaient déjà moribondes. Mais ce qui a donné le coup de grâce à ces groupes, c’est la mesure fixant les prix d’entrée dans les dancings populaires à 300Fcfa. C’était un prix révolutionnaire qui ne permettait pas aux musiciens de faire face à leurs dépenses, ni aux promoteurs des dancings de s’en sortir. Il avait suggéré à Thomas Sankara de doter les orchestres comme le Super volta, l’Harmonie VoltaÏque, le Dafra Star, Echos del Africa de nouveaux instruments musicaux. Quant à Abdoulaye Cissé, il ne partage pas le point de vue de ceux qui disent que la Révolution est venue tuer les orchestres. Pour lui, les orchestres étaient en agonie avant l’avènement de la Révolution démocratique et populaire.

Elle n’a fait qu’utiliser les anciens éléments de ces groupes qui vivotaient pour former les orchestres qu’elle avait créés dans les casernes et certains services. Pour se convaincre définitivement que Thomas Sankara avait un réel sentiment pour la musique, voici le propos qu’il a tenu devant la Commission du peuple chargée de la prévention contre la corruption lors de la déclaration de ses biens : « … Je possède également trois guitares sèches. Je les cite parce que je leur attribue beaucoup de valeur. »

Saglba Yaméogo

MUTATIONS N° 14 du 1er octobre 2012. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com



17/11/2012
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