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3 mai : hommage aux héros de la vérité

Le monde entier a célébré le 3 Mai dernier, la 15è Journée mondiale de la Liberté de la Presse. Le 3 Mai, qui a été institutionnalisé par l’UNESCO, il y a de cela une décennie et demie, est une journée de réflexion sur les conditions d’exercice du métier de journaliste à travers le monde en général, et singulièrement en Afrique pour ceux qui travaillent dans ce domaine sur le continent. C’est un moment de recueillement à la mémoire de tous les journalistes tués dans l’exercice de leurs fonctions, principalement cette année en Iraq et en Afrique. Car la situation du métier de journaliste est loin d’être brillante sur notre continent. Les assassinats, les atteintes diverses, les incendies des sièges ou des locaux abritant les journaux, les emprisonnements, les interdictions de paraître, les intimidations, etc. sont le lot quotidien des travailleurs du secteur de la Presse. En Afrique, bien plus qu’ailleurs dans le monde, le journaliste est permanemment en danger. Il est bon journaliste quand ce qu’il écrit, dit et publie va dans le sens des intérêts du pouvoir et des hommes qui gravitent autour du pouvoir. Il est un mauvais journaliste quand ses analyses, ses commentaires, ses reportages divergent d’avec les points de vue du pouvoir et des hommes composant le pouvoir. Il est un ennemi déclaré, donc à abattre quand dans ses investigations, il démontre les petites et les grosses magouilles des femmes et des hommes qui sont au pouvoir ou qui grenouillent autour de celui-ci. Les hommes au pouvoir et ceux qui croient qu’ils sont du pouvoir ne tolèrent pas qu’on étale au grand jour leurs incuries, leurs turpitudes, leurs lâchetés et leurs trahisons. Ils ne tolèrent pas être présentés tels qu’ils sont ; mais tels qu’ils veulent paraître. Car, ce qui préoccupe avant tout l’homme politique, c’est le paraître. Le journaliste a deux censeurs : le pouvoir et le public. Le premier veut être obéi. Le second veut être informé « honnêtement ». Il doit être impérativement servi . C’est la raison première de la mission de l’homme de média, de son existence. Si le devoir du journaliste se réduisait à dire, à montrer et à publier ce qui plaît aux pouvoirs, il gagnerait davantage à se transformer en griot. Il s’aliènerait alors son peuple ; par contre il sera dans les bonnes grâces des pouvoirs. Ce journalisme a prévalu en Afrique. Il prévaut encore sur le continent dans les Etats où les journaux, la radio et la télévision sont des propriétés de l’Etat incarné par un dictateur ou une clique d’hommes qui se sont hissés à la tête de l’Etat par les armes ou les trucages électoraux. On peut imager la situation des journalistes dans ce cas par la question suivante : « Quel cuisinier oserait préparer du ragoût d’igname, alors que son employeur demande à manger du riz gras » ? Parachutés au pouvoir de la manière que l’on sait, ils doivent mettre la Presse au pas pour s’y maintenir. Plus un président est en quête de légitimité, plus il se transforme en dictateur impitoyable, devenant un ogre pour les journalistes et la Presse. Or, la majorité des chefs d’Etat africains sont en quête d’une vraie légitimité. La liberté de la Presse est indissociable de la démocratie et vice-versa. Les régimes qui ont écrit les lois les plus attentatoires à la liberté de la Presse sont les régimes les plus dictatoriaux. Les exemples sont nombreux à travers le continent. Les lois concernant la Presse et l’édition y sont les plus liberticides. Le carcan de la presse d’Etat ou presse gouvernementale a été brisé par des hommes et des femmes qui se sentaient à l’étroit dans le système. Ces femmes et ces hommes ont été les pionniers de la Presse privée ou Presse indépendante dans la plupart des pays africains. Mais que de dangers ces « héros » ont affrontés. Certains ont payé de leur vie leur volonté, leur amour d’informer autrement, d’écrire autrement. C’est le cas du journaliste Norbert Zongo. Jean Hélène, correspondant de Radio France internationale, assassiné le 21 octobre 2003 dans un commissariat d’Abidjan ; Guy-André Kieffer, un journaliste franco-canadien travaillant pour « La Lettre du Continent » dont on est sans nouvelles depuis le 16 avril 2004 ; le journaliste gambien qui était le correspondant de l’AFP et de Reporters sans frontières, Deyda Hydara, abattu de trois balles dans la tête le 16 décembre 2004 sont les victimes récentes de ce désir d’informer et d’informer vrai. Tous ces hommes ont été réduits au silence parce qu’ils avaient en face d’eux des régimes intolérants, foncièrement hostiles à tout article qui ne fait pas leurs éloges. Des régimes qui refusent qu’on les critique. Au Burkina Faso, le monde de la Presse attend depuis bientôt sept années de savoir la vérité sur le drame de Sapouy du 13 décembre 1998. En ce jour ô combien triste, Norbert Zongo, le directeur fondateur de l’hebdomadaire L’Indépendant et trois de ses compagnons de route ont été tués à bord du véhicule dans lequel ils se rendaient au Safari de la Sissili, puis réduits en cendres. La famille, les amis et le monde de la Presse attendent depuis cette date de connaître les auteurs de cet holocauste, et bien sûr leurs commanditaires. On leur répète invariablement que « la justice suit son cours...Le dossier avance ». Au moment de son assassinat, Norbert Zongo enquêtait sur la mort au sein du Conseil de l’Entente des suites de tortures de David Ouédraogo, le chauffeur du frère cadet du président du Faso. Il n’y a aucun doute que c’est la recherche de la vérité sur le sort fait à David Ouédraogo et le traitement qu’on voulait réserver à ce meurtre qui a conduit au drame du 13 décembre. Que souhaiter en cette journée placée sous le thème : « Médias et bonne gouvernance » ? Le séminaire qui s’est tenu à Dakar et qui a regroupé les hommes de médias autour du président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Omar, le président en exercice de l’Union africaine, le chef de l’Etat nigérian, Olusegun Obasanjo et bien d’autres personnalités doit prendre quatre résolutions : 

-  un crime contre la personne d’un journaliste doit être déclaré imprescriptible, 
-  l’impunité ne saurait prévaloir en cas d’assassinat d’un journaliste, et ce crime ne peut pas être amnestié 
-  dépénaliser tous les délits de presse. 
-  faciliter l’accès aux sources d’information de manière non discriminatoire à tous les journalistes. Autrefois, les grands hommes : rois ou empereurs marquaient la fin ou le début de leur règne par un événement inoubliable. Aujourd’hui, le président Blaise Compaoré est sur le point de terminer un deuxième septennat ; il pourrait postuler pour un troisième mandat présidentiel. Il serait bon qu’il marque ces deux événements qui ne sont qu’un en réalité par un fait éclatant : qu’il instruise la justice burkinabè de juger l’affaire Norbert Zongo au cours d’un procès transparent et équitable. En cette journée commémorative de la Journée mondiale de la liberté de la Presse, L’Indépendant présente ses condoléances aux familles des 53 journalistes tués dans l’exercice de leurs fonctions au cours de l’année 2004. Quant aux centaines de ses confrères qui croupissent dans les géoles, que l’action conjuguée de la communauté internationale ouvre les portes de leurs prisons.

 

 

Talato Sîîd Saya



15/08/2011
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