Abououoba

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OUMAROU KANAZOE Un petit tisserand devenu milliardaire

(NDLR: cet article a été écrit en 2008)
OUMAROU KANAZOE
Un petit tisserand devenu milliardaire

 

OK281 ans, 4 épouses, 32 enfants. Oumarou Kanazoé est aujourd’hui multi milliardaire. Il a pourtant commencé son aventure avec un capital de zéro franc. Ou presque. «Mon père est décédé quand j’avais douze ans. Il ne m’a rien laissé comme héritage matériel et financier». Ainsi, le petit «Kana», fils unique de ses parents, s’est très vite lancé dans le combat pour la survie. Rien, apparemment, ne le prédestinait à un tel succès. Mais au fil des ans, il a réussi à bâtir un véritable empire financier. L’entreprise «O.K» injecte, chaque année, plus de 19 milliards de francs CFA dans le tissu économique burkinabè.

 

Le pauvre petit garçon des années 30 peut aujourd’hui se frotter les mains. Son entreprise a un patrimoine impressionnant: plus de 400 véhicules et engins pour les travaux publics, 10 scrapers (coût unitaire: 200 millions de FCFA), quatre carrières, un hélicoptère. Bref, la liste est longue. Très longue. L’entretien des machines coûte, à lui seul, près de 200 millions de FCFA par mois. Le nombre d’employés ? Près de 500  permanents dont six expatriés. Un nombre important de contractuels aussi, variable d’un chantier à un autre. Kanazoé lui-même dispose de deux avions acquis en 1977 et 1980. De même qu’une gamme de voitures Mercedes. Depuis mai 2006, le groupe «O.K» distribue des voitures de marques Ford et GWM. Ici, c’est le fils cadet du boss, Djibrill Kanazoé, qui est aux commandes. Il dirige, d’une main de maître, une filiale créée à cet effet, Africa Motors Burkina. Ce domaine était jusque-là, la chasse gardée de quatre sociétés. Mais en moins de deux ans, «O.K» a réussi à  bousculer l’ordre établi. Il est même déjà en train d’investir la sous-région: Mali, Niger, Bénin… Et il commence à lorgner du côté de la Côte d’Ivoire et du Togo. Et à tous ceux qui doutent de lui, Oumarou Kanaoé brandit le Trophée international de la construction qui lui a été décerné en 1992, à Madrid. De même que la «Golden America Award for Quality», obtenu en 1998. Mais pas seulement cela. Ce richissime homme d’affaires a arboré en 1998, les insignes de président du bureau exécutif du Conseil national du patronat burkinabè. Donc le patron des patrons. Président aussi de la Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat depuis 1995. Dans son CV, trône une série de grandes responsabilités: Consul honoraire du Maroc au Burkina, président de la communauté musulmane, Commandeur de l’ordre national…

 

Derrière ses grosses lunettes noires…

 

Pourtant, le petit «Kana» n’imaginait pas être un jour sur la cime des honneurs. Déjà, à l’âge de sept ans, la chance d’aller à l’école française lui échappe. A 12 ans, il est orphelin. Et comme si un malheur n’arrivait jamais seul, la pauvreté s’abat, comme un lourd marteau, sur la mère et son fils. L’espoir se défait alors à vive allure. Le bambin ne sait plus à quel saint se vouer. Sa mère non plus. Le petit «Kana» décide alors d’affronter son destin. Il lui faut trouver le minimum vital. Jour après jour, il prospecte et finit par rencontrer des tisserands, à Yako, sa ville natale, située à 100 km au nord de Ouaga. Son premier boulot est un calvaire. Il doit se rendre à pied au Ghana et au Mali pour vendre de la cotonnade. «Kana» accepte. Il ramène du sel, des chaussures et de la cola qu’il écoule sur le marché national. L’espoir renaît, petit à petit. Au fil des mois, «Kana» se fait des économies. 1950. Tournant décisif. Oumarou Kanazoé décide de voler de ses propres ailes. Il ouvre une boutique. Un restaurant aussi. Et il palpe de plus en plus d’argent. 1955. Il achète un camion pour le transport de marchandises. Sa tunique d’homme d’affaires semble bien lui convenir. Il se lance dans la construction et le commerce général. Mais attention: à force de vouloir ratisser large, il risque d’étouffer ses initiatives. Kanazoé le sait. Il a un flair qui lui permet d’anticiper et de déjouer les pièges. 1973. Il crée l’entreprise Oumarou Kanazoé, une entreprise individuelle. La suite, on la connaît: il obtient son premier gros contrat: la réalisation, en sous-traitance, d’un tronçon de route de 50 km. L’entreprise O.K parvient, de plus en plus, à s’inscrire dans les annales des Bâtiments et travaux publics (BTP) au Burkina. Un secteur très stratégique. Le Burkina y investit en effet, chaque année, «environ 98 milliards de FCFA», selon un responsable du ministère des Infrastructures. Le marché est donc juteux. Les entreprises se battent bec et ongles pour rafler les appels d’offres. «O.K» a donc décidé d’y déployer toutes ses énergies. Abandonnant ainsi le transport et le commerce général. Il est devenu aujourd’hui, selon certaines sources, le «roi du BTP» au Burkina Faso. Un titre contesté par certains de ses concurrents. Mais Oumarou Kanazoé n’en a cure. Du haut de ses 81 ans, il regarde l’avenir avec sérénité. Et derrière ses grosses lunettes noires, se cache un secret. Son succès, dit-il, ne provient pas de ses méthodes de gestion à l’Occidentale. Sa source d’inspiration et de réussite, c’est son père. «Avant de mourir, il m’a couvert de bénédictions pour ma bonne conduite», confie le vieil homme, visiblement bien en forme mais un peu rongé par le poids de l’âge.

Et comme gouverner, c’est prévoir, «O.K» pense déjà à sa succession. L’entreprise est devenue familiale. Tous ses enfants y travaillent. Le premier fils, Mady Kanazoé, en est le directeur général. Mais le fondateur veille au grain. Il ne cesse de distiller des conseils dans l’entreprise. Chaque matin, il effectue une tournée dans les chantiers. Il vérifie l’évolution des travaux, donne des ordres et, pendant les moments de détentes, il encourage souvent ses employés à se lancer dans les affaires.

 

«Si je suis riche, c’est grâce à Dieu»

 

Il a aussi réussi, jusque-là, à faire face à l’adversité. La colère répétée de certains de ses employés qui revendiquaient leurs droits, avait fait la Une des médias. L’ex-président du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), Halidou Ouédraogo, avait même été le médiateur dans cette affaire brûlante. Et puis, il y a eu l’affaire Norbert Zongo, ce journaliste assassiné en 1998, qui a quelque peu terni la réputation du richissime homme d’affaires. Zongo enquêtait sur une affaire de vol dans la famille du frère cadet du président Compaoré. Le nom de Kanazoé est cité dans le rapport de la commission d’enquête indépendante. «Il est le lien avec tout le monde», avait affirmé, catégorique, le Secrétaire général de Reporters sans frontières, Robert Ménard. Oumarou Kanazoé est tout aussi catégorique: avant cette affaire, «je n’avais jamais entendu parler de Norbert Zongo (…) Je ne l’avais jamais rencontré (…) Je ne lui ai jamais demandé d’arrêter d’écrire sur l’affaire David Ouédraogo».

Bref, ces «dossiers brûlants» ont éclaboussé l’homme d’affaires mais n’ont pas réussi à l’ébranler. Au contraire, Kanazoé continue de marquer des points. Il se montre généreux vis-à-vis des populations. Il construit des écoles et des mosquées, distribue des vivres dans les régions déficitaires. Chaque matin, après sa première prière, il reçoit de nombreux nécessiteux qui repartent, sourire aux lèvres. L’affluence est très importante les vendredis. «Si je suis riche, affirme l’homme d’affaires, c’est grâce à Dieu; je répands donc le bonheur autour de moi pour le remercier».

Oumarou Kanazoé est bien trempé dans l’Islam. Il est le président de la Fédération des associations islamiques du Burkina. Et il s’investit, de plus en plus, dans la prise en charge des imams.

Le parcours du petit «Kana» est assez étonnant aux yeux de certains observateurs de la scène économique burkinabè. Mais pas vraiment. En fait, il a su s’adapter aux différents régimes qui se sont succédé. De Sangoulé Lamizana (1966-1980) à Blaise Compaoré au pouvoir depuis 1987. Allant même jusqu’à dépanner souvent l’Etat en termes de finances. Aujourd’hui, Oumarou Kanazoé est engagé dans le parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). On le voit, comme à son habitude, dans de gros boubous, sillonnant les régions du pays pendant les campagnes électorales. Un tel investissement produit nécessairement des dividendes. «Le fait que Kanazoé rafle la plupart des marchés juteux n’est pas innocent; il a une vraie connexion avec les dignitaires du régime», affirme un haut cadre du ministère des Finances et du Budget. Mais «Kana» estime que cela est plutôt la résultante de son ardeur au travail. Et il entend se mettre davantage au service de la société. «Ma fortune, c’est pour servir Dieu et mes concitoyens», affirme-t-il souvent. Mais à combien évalue-t-il cette fortune? «A vrai dire, je ne suis pas en mesure d’avancer un chiffre quelconque; je ne dispose pas d’assez de temps pour faire ce travail», affirme le quadragénaire. Pas question non plus de prendre la retraite à 81 ans: «La retraite est faite pour les fonctionnaires. Pourquoi me mettre au lit et hypothéquer mes affaires? Il n’est pas sage de jeter des grains de sable dans son propre couscous». Décidément, le petit «Kana» des années 30 n’est pas près de s’arrêter en si bon chemin.

 

Hervé TAOKO



20/10/2011
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