Abououoba

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CCRP : "Les vrais problèmes ont été escamotés"

CCRP : "Les vrais problèmes ont été escamotés"

mercredi 30 novembre 2011

Ceci est une lettre ouverte au prédisent du Conseil consultatif sur les réformes politiques. L’auteur estime que les conseillers ont escamotés les problèmes sociaux du pays.
Monsieur le Président,
Avant d’aborder le sujet, permettez-moi de vous féliciter ainsi que l’ensemble des conseillers du CCRP qui ont travaillé durant 21 jours, ce qui a abouti à des résultats mitigés et à des insuffisances dans leur contenu. Il est vrai que le temps qui vous a été imparti malgré la pléthore des membres, ne pouvait pas vous permettre d’inventorier, d’examiner et d’analyser de façon exhaustive tous les problèmes socioéconomiques et sociopolitiques de la nation burkinabè.

Dans ce contexte, lorsqu’on discute avec les acteurs nationaux et internationaux du développement et les populations au Burkina Faso sur les résultats du rapport du CCRP, il ressort dans les discussions que, les vrais problèmes sociaux n’ont pas été sérieusement abordés ou pas du tout : les conseillers ont tout simplement escamoté les vrais problèmes de notre pays. C’est au regard de ce constat regrettable que je me suis décidé à vous écrire pour relever ces manquements que vous avez éludés dans le rapport. C’est aussi pour apporter ma très modeste contribution participative aux débats de ces réformes, que chacun de nous Burkinabè souhaite et espère apporter des solutions économiques, sociales et politiques durables pour le bonheur de nos populations.

Ainsi sur l’ensemble des quatre (4) axes du rapport, le lecteur reste sur sa faim parce que les conseillers n’ont pas vraiment pris en compte, les différentes crises sociales qui ont secoué notre pays depuis février 2008 jusqu’en juin 2011, avec l’entrée en scène des forces de sécurité. Ce n’est pas parce que la feuille de route des conseillers parle des réformes politiques qu’il faut privilégier cela au détriment de ce qui a été à l’origine de la création du CCRP. Normalement, il aurait fallu aux conseillers, d’inventorier les crises sociales, leurs origines ou causes et proposer des solutions. Ce type d’exercices allait permettre aux conseillers de prendre en compte dans leur rapport, les préoccupations réelles des populations burkinabè. Ce qui n’a pas été le cas.

Pourtant ces crises, nous les connaissons. Tous les membres du CCRP les connaissent également. Ce sont, entre autres : la vie chère au Faso, les crises économiques, la corruption, l’impunité et les enrichissements illicites. Ces facteurs nuisibles au développement économique et social ont longtemps été ignorés par les institutions républicaines et nos gouvernants. Au finish, cela a provoqué la colère de nos populations qui ont décidé de se faire justice elles-mêmes, par des manifestations violentes dans les rues, afin d’éviter de mourir de faim et de se faire entendre, alors que selon dame rumeur de la capitale, l’enfant d’un ministre s’amuse avec l’argent, en s’adjugeant une bouteille de coca cola à 400 000F CFA dans une boîte de nuit, ou en payant cash, une bouteille de whisky toujours dans cette même boîte de nuit, à 5 millions de F CFA.

Le peuple de la basse classe s’est senti abandonné ou trahi par nos gouvernants, face aux multiples problèmes sociaux insupportables. Ces différents constats amers ont été à maintes fois décriés par les citoyens burkinabè et par des observateurs avertis des crises sociales au Burkina, en espérant que les autorités prendraient des mesures préventives et curatives, mais sans effets. Une majorité des Burkina aujourd’hui pense, qu’il y a deux citoyens dans notre société : ceux qui sont majoritaires, mais qui vivent éternellement dans la misère sans qu’on songe à eux, sauf au moment des échéances électorales. Par contre, la deuxième catégorie est très minoritaire, mais qui a la mainmise sur toutes les richesses de notre pays. C’est sur ces inégalités que les conseillers auraient dû mettre l’accent avant de se pencher sur les réformes politiques.

Les géniteurs du rapport me diront que les problèmes sociaux n’ont pas été examinés à la légère. Oui, mais c’est de façon survolée et traités brièvement en dernier lieu. Pour montrer que vous n’accordez pas assez d’importance au volet des problèmes sociaux, vous écrivez même à la page 65, vers la fin de votre rapport de l’axe IV, concernant les politiques sectorielles que : « Concernant l’ensemble des propositions de réformes contenues dans cet axe, les conseillers ont décidé par consensus de les considérer comme des points de recommandations… ». Dans ce contexte, il est clair que les conseillers n’accordent pas assez de considération aux violences sociales. En plus, pour appuyer cette thèse, sur les huit (8) communications qui ont été livrées aux conseillers par des experts, aucune communication spécifique concernant tous les problèmes sociaux.

Si vous accordiez une certaine importance aux problèmes sociaux, vous devriez aussi faire appel à des experts pour venir parler devant les mêmes conseillers de : la vie chère, la situation économique, l’impunité, la corruption et les enrichissements illicites. Pourtant tous ces fléaux constituent le nœud des problèmes de la IVe République. Or s’il n’y avait pas eu de crises sociales, le Conseil consultatif sur les réformes politiques n’existerait pas, voire le ministère en charge des Réformes politiques.

Monsieur le Président,

si vous et vos conseillers aviez commencé vos travaux par ces problèmes sociaux, la grande majorité des citoyens burkinabè aurait accordé plus de crédibilité aux résultats de votre rapport. Si vous demandez au citoyen lambda son choix entre les crises sociales et les crises politiques, il n’hésitera pas un instant à porter son choix sur le premier volet. Bien que l’ensemble des axes soient importants, il sera superflu et incomplet de proposer des réformes politiques et judiciaires en premier lieu, si la primauté n’est pas accordée aux problèmes sociaux. Car les contestations populaires de la faim peuvent reprendre à tout moment, si les revendications de la minorité brimée ne sont pas satisfaites. C’est pour éviter à notre pays de se retrouver dans le cycle des violences sociales, qu’il est important et nécessaire, d’accorder une place primordiale aux aspects sociaux qui ont été développés plus haut. A ce niveau, permettez-moi de vous faire les propositions suivantes pour votre appréciation, en espérant qu’elles seront prises en compte dans le rapport final de ces réformes politiques.

Propositions à reverser dans le dossier du rapport du CCRP :

Au titre de la vie chère :

a) Suivre l’exemple du Niger, en créant un ministère chargé de coordonner tous les problèmes dans ce domaine et d’apporter un soutien aux populations et au gouvernement, afin de chercher des solutions, leur mise en œuvre et leur suivi quotidien ;

b) Dans le cadre du dialogue social, qu’une conférence nationale sur la vie chère soit organisée chaque année par le gouvernement, où tous les acteurs au développement économique et social ainsi que les représentants des populations pauvres prendront part pour évaluer, examiner tous les problèmes de la vie chère, chercher des voies et moyens pour trouver des solutions concrètes et durables à ce sujet ;

c) Revoir la possibilité de rétablir les structures de développement rural d’antan comme les ex-ORD, l’OFNACER et les FJA, à la place des CRPA et la SONAGESS qui semblent faillir à leurs missions. Le rétablissement des anciennes structures sera un des moyens efficaces, pour lutter contre la vie chère au Burkina, si on leur accorde les moyens financiers, techniques, matériels, humains, judiciaires et administratifs ;

d) Que le ministère du Commerce revoie sa copie sur sa stratégie de contrôle des prix, et que le personnel chargé d’une telle mission, dispose de moyens conséquents et juridiques, lui permettant de mener à bien sa mission sur le terrain ;

e) Pour permettre à nos agriculteurs et éleveurs de produire davantage, créer une nouvelle banque agricole et lui confier tous les moyens y afférents, afin qu’elle soit plus proche des bénéficiaires et leur accorde des conditions beaucoup plus avantageuses, et plus souples que celles des banques classiques et autres institutions financières que nous connaissons ;

f) S’il y a eu des manifestations violentes contre la vie chère au Burkina, c’est parce que les prix des produits de première nécessité ne cessent d’augmenter chaque jour et que l’Etat reste impuissant. Cela est en partie imputable aux opérateurs économiques et aux commerçants. La raison en est que ces gens ont toujours financé les campagnes des partis politiques. Pour récupérer leur argent distribué aux politiciens lors des campagnes politiques, ils augmentent abusivement les prix ou créent des ruptures artificielles de ces produits à grande consommation. Pour éviter cela et protéger efficacement les consommateurs, il faudra insérer dans la Constitution, une loi qui interdit formellement aux opérateurs économiques, aux commerçants ou à leurs sociétés et apparentés d’apporter un quelconque appui financier, matériel ou moral à un parti politique, à un candidat dans le cadre de sa campagne politique. Dans le cadre de l’efficacité et de l’effectivité d’une telle loi, il faudra mettre sur pied un organisme indépendant de suivi et de contrôle.

Au titre de la crise économique :

a) Le ministère de l’Economie et des Finances et celui de l’Industrie et du Commerce doivent adopter des politiques plus souples, permettant une expansion économique et industrielle ;

b) L’Etat doit imposer aux banques et autres structures financières de la place, un mécanisme juridique contraignant, pour les amener à participer activement au développement économique et social de notre pays, en accordant des facilités de crédits aux personnes physiques et morales moins nanties pour la réalisation de leurs projets ;

c) L’Etat doit lever ses barrières protocolaires auprès des partenaires techniques et financiers multilatéraux et bilatéraux en matière de l’octroi des financements, uniquement que des structures étatiques de développement et les autoriser à financer aussi les personnes physiques et morales burkinabè qui auront présenté des projets sociaux et économiques fiables ;

d) Avec la crise financière internationale de 2008 et celle en perspective de 2011, et probablement dans les années à venir si des mesures adéquates ne sont pas prises pour stopper ces crises économiques à répétition, le Burkina doit adopter une nouvelle approche économique, afin d’éviter de nouvelles crises économiques et sociales : il doit revenir sur le système économique étatique. Même le Président Nicolas Sarkozy de la France a reconnu cette nécessité, en 2009. Autrement dit, la réhabilitation d’un socialisme d’Etat plus humain, plus socialisant et plus proche de la population.

e) Au niveau des questions liées à l’impunité, à la corruption et à l’enrichissement illicite ainsi que d’autres aspects nuisibles à l’économie de notre pays, ces questions doivent être traitées sérieusement et non par de simples recommandations, en créant des lois plus rigoureuses contre ces facteurs, en mettant sur place un mécanisme de suivi et de contrôle quotidien.

Autres sujets non moins importants :

A ce titre, les points suivants n’ont pas été évoqués, ou ont été cités de façon passive. Notamment :

a) Au niveau de la décentralisation : les questions de compétences et le rôle des gouverneurs, des hauts-commissaires, des préfets, des maires et des chefs traditionnels ainsi que des chefs de terre n’ont pas été clairement définis. C’est pourquoi sur le terrain, il y a souvent des conflits de compétence entre ces dirigeants locaux. Il faudra dans la prochaine Constitution, une loi qui clarifie spécifiquement le rôle et les compétences de chacun ;

b) Sur le plan environnemental : la question n’a pas été assez examinée et avec des propositions conséquentes. Pourtant c’est un domaine très important, vu son importance dans l’économique et son évolution climatique. Il faudra insérer dans la prochaine Constitution, une loi réhabilitant les lois des trois luttes au temps de la révolution : lutte contre la divagation des animaux (même en saison sèche), lutte contre les feux de brousse et lutte contre la coupe abusive du bois. Il faudra ajouter dans cette Constitution, une loi interdisant la destruction des zones reconnues par les populations villageoises, comme étant des zones sacrées. Ces zones telles que les bois sacrés ou les « Ting-cougris » en Mooré, ne doivent plus faire l’objet de pillages, de destruction et d’installations anarchiques sur les lieux par certaines religions, qui, pour se justifier, déclarent que ces zones sont hantées par les soit-disant « satan » ;

c) Dans le domaine culturel : Depuis la floraison des religions dans notre pays, et avec la mondialisation et son cortège de libéralisme économique et politique, les cultures et les traditions burkinabè sont en train de disparaître. Et l’Etat burkinabè ne fait pas assez pour les protéger. Ce qui constitue un danger pour l’avenir du pays. Un peuple sans identité culturelle, est un peuple sans racine et sans avenir. En plus, on oublie que les cultures ou les traditions jouent un rôle important dans le développement économique et social d’un pays. L’exemple se trouve au Japon, en Chine populaire, en Inde et au Brésil. Si ces nations aujourd’hui sont économiquement fortes, prospères et stables, c’est parce qu’en partie, elles accordent une place importante à la culture et aux traditions. Notre voisin immédiat, le Ghana, a voté une loi interdisant les musiques modernes lors des funérailles traditionnelles.

Au Burkina, la musique moderne et autres facteurs modernes sont en train de remplacer les évènements traditionnels. Il faudra interdire cela, si nous voulons préserver et perpétuer notre identité culturelle, en prenant des dispositifs juridiques dans notre Constitution. A cet effet, notre ministère de la Culture devait revoir sa politique et sa stratégie sur le développement culturel ainsi que la protection de nos cultures et de nos traditions ;

d) Concernant la laïcité et le rôle de la chefferie en politique

Au titre de la laïcité : c’est regrettable qu’il n’y ait pas eu un consensus entre les conseillers sur la création d’un observatoire de la laïcité, au motif que cette laïcité n’est pas remise en cause au Burkina Faso. Même si cela est réel, nous devons penser à l’avenir. Car avec la prolifération des religions au Faso, rien n’est sûr qu’à l’avenir, la laïcité ne soit pas remise en cause par tel ou tel organisme et fanatique religieux, si un jour, les membres de cet organisme religieux se retrouvaient en tête de notre pays ou majoritaire dans notre parlement. C’est ainsi que se développent les guerres. Il faudrait donc revoir ce volet de la laïcité, créer un observatoire à ce sujet, interdire aux médias étatiques d’accorder des lignes de communication permanente en leur sein. Interdire dans la Constitution, les signes religieux dans les services appartenant à l’Etat burkinabè ;

Au sujet du rôle de la chefferie en politique : ceux qui sont farouchement contre l’implication de la chefferie traditionnelle en politique, certainement ne connaissent pas assez l’histoire de la Haute-Volta au Burkina Faso. Il y a aussi d’autres dont les parents et eux-mêmes, ne supportaient pas les chefs traditionnels, pour des raisons multiples. Or on oublie que ce sont les chefs qui ont géré les différents groupes ethniques, avant l’arrivée du colon. Même si parfois ce dernier, à son arrivée, était contraint d’utiliser la force pour s’imposer, dans certains cas, il n’avait pas le choix, que de gouverner le pays avec l’appui des chefs. Le rôle de ces derniers pendant la colonisation a été déterminant. Depuis le temps colonial jusqu’à nos jours, les chefs traditionnels sont omniprésents dans la scène politique dans beaucoup d’Etats africains, dont le Burkina Faso. C’est grâce à eux que dans certains pays en Afrique, il y a la paix et la cohésion sociale.

Au lieu de chercher à les écarter en politique, il faut plutôt faire comme le Ghana et le Nigéria. Dans ces deux pays, ils ont non seulement institutionnalisé la chefferie traditionnelle, mais aussi celle-ci, `bénéficie, de leur part, de tous les avantages politiques, économiques et sociaux. Ainsi, quant à leur implication dans la politique, il faut laisser ce volet à la discrétion des intéressés et leurs sujets. N’oublions pas que les chefs traditionnels sont aussi des citoyens à part entière, comme tout le monde et ont leurs droits. Donc attention à la censure démocratique !

En guise de conclusion, j’espère et je souhaite vivement que vous preniez en compte, les observations et remarques faites sur les différents points ci-dessus cités concernant les résultats du rapport des conseillers. Il est important de souligner que les propositions qui vous ont été faites ici, sont d’une importance capitale qui contribueront à apaiser les tensions sociales, renforceront le dialogue social et éviteront à notre pays de sombrer socialement, économiquement et politiquement. A cet effet, il serait souhaitable que ces propositions soient insérées dans la prochaine Constitution. Au lieu d’escamoter les vrais problèmes sociaux qui sont à la base des différentes crises sociales de notre pays, les conseillers auraient dû commencer par les réformes sociales et économiques avant de continuer sur celles relatives à la politique et aux aspects judiciaires. Si les problèmes sociaux du Burkina Faso ne sont pas maîtrisés, les manifestations populaires contre la vie chère, l’impunité, la corruption et l’enrichissement illicite vont reprendre. Les réformes politiques seules ne suffiront pas pour résoudre définitivement nos problèmes sociaux, économiques et politiques.

Monsieur le Président,

je vous remercie d’avance, d’avoir pris votre temps précieux pour lire et examiner ma longue lettre et les propositions. Dans cette même logique, je vous remercie également, d’avoir accepté de reverser mes propositions dans le dossier du rapport du CCRP.

Ouagadougou, le 19 septembre 2011

Pierre K. SIA Consultant en développement E-mail : siakazecco@yahoo.fr

Le Pays



06/12/2011
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