Abououoba

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Le cas Séraphine: L’arbre qui cache la forêt

Le Conseil des ministres du 27 juillet dernier a prononcé entre autres, la révocation de Séraphine Ouédraogo, maire de Boulmiougou, assortie de poursuites judiciaires. Nous nous attendions à un tel scénario. Dès le lendemain de sa suspension, nous le pronostiquions déjà en soulignant l’irrégularité de la manœuvre. Aujourd’hui, bien de personnes applaudiront la mesure tant madame Ouédraogo a laissé de mauvais souvenirs sur son passage. Mais il n’est pas certain que toutes les personnes sachent réellement ce qu’elles applaudiront et ce que recouvre une telle manœuvre. Les maires au Burkina Faso sont désignés par des élections de listes. Les conseillers désignés par les électeurs choisissent en leur sein une personne en principe parmi les élus de la liste totalisant le plus de conseillers. Cependant ce principe n’est pas intangible. Selon les circonstances, des accords ponctuels peuvent faire perdre le poste de maire à la liste arrivée en tête. Le cas s’est déjà produit à Gaoua quand une alliance inattendue entre l’UNIR/PS et le CDP a privé la liste de Louis Ouali Armand de sa victoire acquise dans les urnes. Dans tous les cas, rien dans le dispositif juridique actuel du Burkina Faso et encore moins dans le code électoral n’autorise une décision administrative à contrevenir à ce que la loi prescrit. En d’autres termes un Conseil de ministres n’a aucun pouvoir pour défaire un mandat établi par « la volonté » des électeurs. Il ne s’agit pas de prétendre par-là que le maire de Boulmiougou est intouchable parce que élue, ou qu’elle ait été une administratrice exemplaire. Tous ceux qui au Burkina Faso ont eu à faire à elle, en dehors de ses amis, gardent des souvenirs cauchemardesques. Son cas est cependant symbolique de la réalité de l’Etat de droit dans notre pays. Le maire de Boulmiougou est une des pièces maîtresses du CDP et du pouvoir de la 4e République. C’est un pur produit de cette politique qui a cours depuis plus de 20 ans. C’est même pour cela qu’elle a été hissée et maintenue à ce poste pendant tout ce temps. Lorsque ses administrés ont voulu lui demander des comptes sur les questions de parcelles, c’est le maire de Ouagadougou, vice-président du parti au pouvoir qui lui a sauvé la mise plus d’une fois. Il est donc surprenant que ses amis soient ceux qui lui découvrent aujourd’hui des poux sur la tête. Ce que tout le monde voyait depuis toujours, à commencer par les habitants de Boulmigou à qui elle a été imposée. Le fait est qu’en procédant ainsi, le pouvoir vise plusieurs buts à la fois. Le premier objectif fixé est de faire tomber la fièvre qui s’est emparé du pays en sacrifiant à bons comptes les têtes les plus visibles du système. Mais cela est peut-être plus grave qu’on ne peut le penser. En instrumentalisant le Conseil des ministres, la 4e République foule au pied les principes de l’Etat de droit auxquels elle se dit tant attachée. Le Code électoral et plus loin la Constitution souffrent aujourd’hui d’un viol à travers le cas Séraphine. En procédant ainsi, elle contourne grossièrement sa responsabilité dans le bilan local à l’échelle de la circonscription de Boulmiougou et tente de jeter un voile pudique sur sa gestion communale à l’échelle du pays où les séraphines sont légion. On promet des poursuites judiciaires contre l’élue déchue. Pour quand seront-elles ? Engagées par qui ? Et pour quels résultats ? Les griefs évoqués sont les malversations dans la gestion des parcelles. Qui d’autre s’autorise à demander justice sur cette question avant et en dehors des milliers de victimes. Celles-ci seront-elles toutes rétablies dans leurs droits ? Notre réponse au regard de l’ampleur des dégâts est non ! Quelle sera donc cette justice qui ne dédommagerait pas les victimes ? Le problème des parcelles au Burkina aujourd’hui ne peut être dissocié du fonctionnement des services du cadastre depuis les lotissements commandos que les maires ont été autorisés à poursuivre à leur guise. Les poursuites judiciaires contre le maire de Boulmigou seront-elles une occasion d’ouvrir les dossiers du cadastre au risque de mettre mal à l’aise tout le système de la 4e République et de devoir révoquer la quasi-totalité des maires ? La révocation du maire de Boulmigou guérira-t-elle le Burkina Faso de la peste des parcelles dont il est atteint avec des effets dévastateurs dont il est impossible aujourd’hui d’envisager les conséquences à venir ? Cette maladie ravageuse a détruit des familles, saccagé à jamais l’identité de villes et de villages entiers. La ville de Ouagadougou par exemple en l’espace de 10 ans a dépassé la superficie de Paris sans que l’équivalent de l’investissement d’une seule année de la capitale française ne vienne accompagner cette extension à l’infini. Sans que les équipements de l’ensemble de la ville n’approchent ceux de certains arrondissements parisiens. Les ravages fait à l’écosystème exposent ces dernières années la capitales aux inondations à répétition. La seule révocation du maire de Boulmiougou peut-elle réparer ces torts causés à l’ensemble du pays ? La réponse est non. C’est pourtant ce que l’on tente de masquer en présentant une seule personne comme le mouton noir de tout un troupeau. On peut dès lors considérer qu’il n’y aura pas justice dans cette procédure en cours. Il est en effet impensable que le maire de Boulmiougou tombe sans entraîner du beau monde, voire des pans entiers de la politique de la 4e République avec elle. Mais en réalité s’agit-il d’une révocation ou d’une opération de sauvetage ? Il était impensable pour tous désormais que le maire de Boulmiougou puisse être reconduite dans ses fonctions aux prochaines élections sans heurter violemment le bon sens des habitants de sa commune. Avec le vent d’exaspération qui souffle sur le pays, on ne peut pas parier qu’elle aurait quitté paisiblement son palais au bord de la nationale. Il faut rappeler que des manifestations avaient déjà cours contre elle. Si par ailleurs il lui était arrivé de quitter par la volonté de la rue son fauteuil, rien ne garantit que les administrés de Boulmiougou accepteraient de gaîté de cœur une personne venant de la même écurie que madame Séraphine Ouédraogo. Le CDP, parce qu’il ne sait pas perdre, gagnerait sans doute les élections dans la circonscription. Mais ce serait une mairie à jamais rebelle qu’elle aurait entre les mains. En faignant de livrer Séraphine, le parti majoritaire sauve sa protégée d’une éviction violente dont on sentait déjà les prémisses. Par la même occasion, en « nommant » un maire à sa place, il courcicuite le jeu démocratique qui exige que le poste vacant soit remis aux voix, jeu pour lequel l’ancienne maire avait sérieusement hypothéqué les chances de son parti. Mais la révocation de madame le maire a une autre portée moins saisissable immédiatement. Depuis février dernier, une politique populiste est entrée en vigueur dans le pays. Elle a la prétention de sauver l’essentiel du système en sacrifiant quelques brebis galeuses et en changeant d’autorité les règles du jeu de la République. Quelqu’un a dit que le Conseil des ministres était devenu intéressant. Il est vrai que depuis le gouvernement Luc Adolphe Tiao, la rencontre hebdomadaire de l’exécutif rappelle de plus en plus celles qui avaient cours sous le CNR. Les décisions se font plus nombreuses et plus autoritaires. Sur quelques langues flatteuses on entend désormais des propos du genre « le boss est réveillé !... le chef est fâché », signifiant par-là que le pays est enfin gouverné. Dans le même temps, on réalise que le parlement est réduit au silence. Des structures illégales apparaissent en toute discrétion qui prétendent être des centres de décision. C’est le cas du CCRP. Le Conseil des ministres qui a prononcé la révocation du maire de Boulmigou a aussi autorisé des marchés de gré à gré pour des montants non autorisés par la loi. Ce fut le cas pour le marché de 1 988 329 403 F CFA octroyé à la société MARK. SA pour la fourniture d’effets d’habillement au profit des corps paramilitaires et des pompiers du Burkina Faso. Il a été dit que les appels d’offres pour ce marché sont restés infructueux ! (Il faut rappeler que le code des marchés publics prescrit que tout marché d’au moins un milliard de francs est soumis obligatoirement à appels d’offres). Pour ce qui concerne singulièrement les commandes faites par le ministère de la Sécurité, des choses assez bizarres (trop d’irrégularités et de complaissance) se passent depuis un certain temps. Les choses ont atteint aujourd’hui un dégré de puanteur insupportable. Nous ne manquerons pas d’y revenir largement. En tout, le Conseil des ministres avec ses 26 membres désignés sur un mode discrétionnaire, est aujourd’hui érigé en organe unique de gestion du pays. Un organe parallèle à la République et qui supplante celle-ci. Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises, le coup d’Etat rampant qui a cours actuellement. Il faut prendre l’exacte mesure de ce qui se joue. Nous vivons aujourd’hui une mise entre parenthèses de la République sans grande différence avec ce qui s’est passé sous les Etats d’exception sauf que tout ici est fait « démocratiquement ». On peut s’en réjouir ou s’en inquiéter. Le fait est que la situation actuelle devra avoir des prolongements bientôt. C’est grâce à cette confusion « démocratique » par exemple que des producteurs indépendants sont autorisés désormais à fournir de l’énergie à la SONABEL sans passer par la Commission nationale de privatisation. Que des privés sont invités à soutenir les finances publiques sans en référer au parlement qui débat du budget national. Sur le plan politique nous avons souligné dès le départ la mise à la marge des partis politiques, y compris le parti sensé être au pouvoir au profit d’une équipe dédiée à un seul individu. C’est dans ces conditions que la Constitution sera revue par le truchement des travaux du CCRP. Beaucoup sentent le danger monter. Malgré tout, ils préfèrent s’accrocher à une République en voie de dissolution qui serait préférable à un lendemain incertain. Il faut lire dans ces considérations soit un aveu d’impuissance, soit un manque de préparation face à l’incertitude du lendemain. Le problème est que ce lendemain tient désormais à peu de choses. Si le verrou de l’article 37 saute et il y a beaucoup de chances qu’il saute vu les préparatifs en cours, l’éternel vainqueur ne savourera pas seulement une victoire de plus sur ses adversaires, mais la victoire sur le pays. Le précédent du CCRP ouvrira toutes les aventures qui seront imposées à la Constitution. Avec une chefferie, un forum des jeunes, des femmes, des paysans institués, le président disposera des moyens qui le situeraient au-dessus du pays. C’est dire que nous entrons dans le système prétorien romain revu à la mode mussolinienne. Plus modestement ce serait un retour aux méthodes de la première République avec le règne du RDA et ses démembrements. Encore que le RDA s’était passé des services de la chefferie. Tandis que le CDP serait appuyé cette fois par une chefferie qui n’avait plus rayonné autant depuis la période coloniale. Nous vivons aujourd’hui la transition vers cet Etat. Et cela se voit. Ainsi en est-il du débat sur la Constitution. Si les partisans de la réforme savent certainement quel est le chronogramme des choses à venir, il est en revanche saisissant de constater que les opposants à cette réforme et plus particulièrement ceux opposés à la modification de l’article 37 s’interrogent sans fin sur ce que dira le président Compaoré. Un peu comme s’il était délégué à la seule personne le pouvoir de disposer de la Constitution. Un peu comme s’ils ne savent pas eux quoi opposer à une tentative de réforme. Il en est ainsi pour la chefferie. Le CCRP, tout en proposant sa constitutionnalisation, laisse le soin aux chefs de proposer un statut. Un peu comme si on disait à l’armée, au syndicat des journalistes ou à toute autre corporation de définir sa place dans la République. Il en est tout autant ainsi des fora de jeunes, femmes et autres qui se profilent. Le Burkina Faso dispose aujourd’hui de la loi 10 qui définit les règles des mouvements associatifs. Si des propositions sont faites en dehors de cette loi, il ne peut s’agir que de mouvements qui vont au-delà du système associatif. En tout, des instruments nouveaux sont visiblement en gestation. Ils viendront consacrer la République rénovée. Le cas Séraphine serait l’arbre qui cache la forêt à venir. Pascal KABORE


14/08/2011
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