Abououoba

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In Indépendant du 16 décembre 1997 : Que faire ?

In Indépendant du 16 décembre 1997 : Que faire ?

Décembre 1998-Décembre 2011. Voilà déjà 13 ans que notre confrère Norbert Zongo et ses compagnons d’infortune tombaient sous les balles assassines de ses bourreaux à Sapouy. 13 ans d’impunité, de fuite en avant, de manipulation des institutions judiciaires et de la vérité. Après avoir subi un véritable et honteux Ping pong dans les mains des professionnels de la justice, le dossier Norbert Zongo a écopé d’un non lieu en 2006. Depuis, silence radio. Plus aucun signe de tentative de manifestation de la justice et de la vérité.

En assassinant ce journaliste émérite, ses bourreaux et leurs commanditaires pensaient se débarrasser d’un emmerdeur, d’un empêcheur de gouverner en rond. Ils ont commis cette erreur en pensant que la troupe désemparée allait abdiquer et replier pour renoncer au combat pour la quête de la liberté, de la justice et du progrès social. Son sacrifice suprême et ses restes mortuaires ont servi de fertilisant pour l’éveil des consciences de ses compatriotes et au-delà, des africains. Le combat de Norbert Zongo est plus que d’actualité. Nous reproduisons cet éditorial intitulé « Que faire ? »Qu’il a publié dans l’Indépendant N°225 du 16 décembre 1997 pour dire que la question n’a jamais taraudé les esprits de ses compatriotes avec tant d’intensité et de précision que maintenant. En cette période de polémique sur les réformes politiques et de confusion sur le sort de l’article 37, Que faire ? Question lancinante, question actuelle.

« Dans les tourments de la Révolution bolchevique, Lénine s’interrogea dans un célèbre ouvrage : ‘’Que faire ? ‘’ Cette question est à l’ordre du jour en Afrique. La grande question qui préoccupe les intellectuels et tous ceux qui se donnent la peine de comprendre les problèmes du continent africain est celle-ci : l’Afrique s’en sortira-t-elle ?

‘’ Que faire ?’’

Une division factice veut que les Africains et tout ceux qui se penchent sur le sort du continent noir se positionnent en deux groupes : Les afro-pessimistes qui disent que le continent est voué à la misère et peut-être à la disparition à cause des grands fléaux que sont les épidémies, la famine et les guerres civiles. Ils croient que nous sommes beaucoup trop en retard pour rattraper le peloton et y trouver une place. Pire, nous sommes hors du circuit, irrémédiablement.

Les afro-optimistes croient en l’avenir de l’Afrique malgré tout. Elle a d’immenses richesses et elle a des populations jeunes, dynamiques. Même par un raccourci, l’Afrique rattrapera les autres. Les arguments des uns et des autres se valent même si nous disons toujours qu’être un optimiste, dans certaines circonstances, c’est être un pessimiste qui manque d’informations. De part et d’autre, on peut se satisfaire de l’interrogation permanente posée par chacun avant de porter son jugement. Etre optimiste ou pessimiste, c’est prendre le temps de s’interroger.

S’il y a un mal, il se traduit par le manque d’interrogation. Ils sont nombreux à ne plus s’interroger sur quoi que ce soit, à se laisser aller, préoccupés paraît-il par tout, sauf par l’essentiel : s’interroger, réfléchir sur leur propre situation. Ils sont pauvres, ils sont chômeurs, ils vivent une misère noire ou tout simplement ils travaillent pour un salaire similaire à la ration alimentaire que l’on donnait à l’esclave afin qu’il ait la force nécessaire pour travailler…

Tout cela ils le savent, puisqu’ils le vivent. Mais ils ne s’interrogent point sur leur propre situation : je souffre aujourd’hui. Et demain ? La situation peut-elle s’améliorer ? Quelles conditions doivent être remplies à mon propre niveau et à celui de l’ensemble de la société pour que ma situation s’améliore ? Dois-je être optimiste ? Quels en sont les motifs ? Est-ce le contraire et quelles en sont les raisons ? Que faire ?

Cet exercice d’interrogation est au centre de la vie de l’homme, il en est la charpente. Mais attention, il est très opposé à la rumination des chagrins, à la culture de la défaite, sous l’hymne des insomnies et des nuits blanches.

Cet exercice de l’interrogation permanente n’est point une suite de mouvements gymniques désordonnés sur une natte ou un lit, des nuits et des nuits durant, sans sommeil.

Chaque fois qu’il est exécuté, il doit modifier notre comportement dans un élan de vie. ‘’Je m’interroge, donc je vis’’ pourrons-nous dire pour paraphraser la célèbre formule cartésienne. En examinant le cas des Burkinabé aujourd’hui, c’est-à-dire le cas de chacun de nous, il y a lieu de se demander : avons-nous le courage de nous interroger sur notre avenir et sur celui de notre pays ? Combien sont-ils qui se livrent à cet exercice de l’interrogation ? Comment le font-ils ?

Et si nous essayons de définir le cadre de cette réflexion, de cette interrogation, nous constatons que nous sommes un des pays où un régime militaire s’est mué en Etat de droit avec plus ou moins de succès et qui pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Nous sommes des S.S. comme le dit un comédien Camerounais (des sans sou et sans savoir). Nous avons, à la tête de notre pays, un officier supérieur reconverti en civil qui a su habiller comme ailleurs le parti unique d’une toge de démocratie délavée. Nous avons ici, comme dans les autres pays à ‘’démocratie-officier-supérieur’’, un président-à vie, la race des imbattables démocratiques.

Nous subissons la loi des trois P : P comme président, P comme parti unique et P comme P.A.S. Nous sommes condamnés à vivre un primitivisme politique, labourant la corruption, récoltant la misère et le chômage… marginalisés dans la longue marche des peuples du monde vers le progrès. Pendant que l’humanité grouille sur son Internet et poursuit ses progrès sociaux, nous sommes occupés à éteindre ou à allumer nos foyers de conflits par la voie de nos ‘’démocraties-officier-supérieur’’. Nous n’avons pas encore compris qu’une société humaine n’est point une jungle où le plus fort impose sa loi au plus faible.

Nous n’avons pas encore compris que, dans toute société qui veut se pérenniser, il faut quelque chose au-dessus de tous les hommes. En religion, ce quelque chose est Dieu. Dans une République, c’est-à-dire sur le plan politique et social, ce sont la Constitution et la Loi.

Voilà résumé le cadre dans lequel nous devons faire notre exercice d’interrogation permanente au niveau du Burkina. Notre engagement aux côtés des uns ou des autres sera fonction de cet exercice de l’interrogation permanente. Tout ce que les autres nous diront, tout ce qu’ils nous demanderont d’entreprendre, de comprendre, d’accepter ou de refuser nous apparaitra dans une transparente clarté. Nous aurons un jugement clairvoyant, lucide.

Quand l’homme s’interroge, il vit. Il vit au rythme de sa société et du monde.

Le ‘’Que faire ? est source de vie. Quand plus rien n’a aucun sens, une seule solution s’impose à nous : l’interrogation. Constamment. »

In L’Indépendant n° 225 du 16 décembre 1997



12/01/2012
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