Abououoba

Abououoba

BOUKARI KABORÉ DIT « LE LION DU BULKIEMDÉ » « C’EST BLAISE QUI A ORGANISÉ L’ASSASSINAT DE SANKARA »

Boukari Kaboré dit « Le Lion du Bulkiemdé » « C’est Blaise qui a organisé l’assassinat de Sankara »

Publié dans Courrier confidentiel N° 37 du 10 juillet 2013

BOUKARI KABORE DIT « LE LION DU BULKIEMDE » « C’est Blaise qui a organisé l’assassinat de Sankara » 

Le Capitaine Boukari Kaboré, commandant du Bataillon d’intervention aéroporté (BIA) de Koudougou, sous la Révolution, s’est farouchement opposé à l’assassinat de Thomas Sankara en octobre 1987. Cet assassinat ne restera pas impuni, prévient-il. « Il y a des témoins vivants qui sont prêts à parler ». Et il promet, lui aussi, de livrer sa part de vérité. Dans cette interview, il lâche déjà quelques morceaux : « Le plan était bien tracé. Quand Sankara a quitté le Palais pour aller au Conseil, l’un des éléments qui le suivaient a téléphoné à ceux qui devaient l’abattre. Il leur a dit : ‘’Vers vous l’oiseau  !’’. C’est un terme militaire qui signifie que la cible arrive. Et ensuite, du côté de Thomas, il y a eu une communication qui disait à peu près ceci : ‘’PF, c’est grave. Revenez’’. Peu après, on a entendu les coups de feu ». Et ce n’est pas tout.

Courrier confidentiel : L’opposition vient d’organiser une marche contre la création du Sénat et contre la vie chère. Le parti au pouvoir a aussitôt répliqué en organisant une marche pour soutenir « l’œuvre de paix du Président Compaoré » et la mise en place du Sénat. Quelle analyse en faites-vous ?

Boukari Kaboré : C’est de la provocation. Le chef de l’Etat est en train de commettre des erreurs graves. Le pays est sur une pente glissante et il se permet de laisser des égarés vouloir provoquer le peuple burkinabè. La marche du 29 juin n’a pas été le seul fait de l’opposition. Blaise Compaoré doit savoir que c’est le peuple burkinabè qui s’est exprimé. Le CDP ne peut rien contre cette mobilisation. L’Etat est grippé ; aucune institution ne marche. Ces gens sont-ils au Burkina ou pas ? Ou sont-ils myopes au point de ne pas voir la réalité ? S’ils multiplient les marches, le peuple aussi sortira et rien ne pourra l’arrêter.

Ils disent pourtant que l’objectif de la marche est de consolider la démocratie…

C’est regrettable ! Ils ne savent pas ce qu’est la démocratie. Ils sont là seulement pour s’enrichir. Des gens sans conscience ne peuvent pas parler de démocratie. Tout le monde sait que les élections ont toujours été truquées au Burkina, que l’Etat burkinabè est grippé, que la corruption a gangrené le système. Au même moment, le peuple est balonné. La constitutionnalisation du Conseil supérieur de la communication vise à permettre au pouvoir de prendre en otage l’information et de désinformer le peuple. Où est donc la démocratie ? Je le dis et je le répète : la marche du CDP est de la pure provocation. Mais au regard de la mobilisation populaire aux côtés des partis d’opposition, le CDP saura qu’il est en train de se frotter à quelque chose de dur. Actuellement, la tension est montée d’un cran. On n’en a marre.

Le Burkina est, dites-vous, sur une pente glissante. Ça signifie quoi au juste ?

Les gens sont fatigués. Le changement est presqu’arrivé.

Voulez-vous parler de la fin du régime actuel ?

Pourquoi parlez-vous comme si j’avais peur des mots ? Les changements se font partout. Et le Burkina n’échappera pas à l’alternance. Quand le peuple commence à dire non et se mobilise comme à la marche de l’opposition le 29 juin, le Président est obligé de partir avec son bataclan d’institutions.

 

JPEG - 21.8 ko

 

Que pensez-vous d’un référendum qui donnerait la parole au peuple, comme le prônent certains leaders du CDP, pour décider de la modification ou non de l’article 37 ?

Quel référendum ? Je pense qu’on veut nous endormir. Il faut qu’il y ait changement. Blaise Compaoré n’est pas la seule personne au Burkina qui soit capable de diriger ce pays. Il est Président depuis 25 ans. C’est trop. Ils sont en train de « monarchiser » le pouvoir et ils veulent parler de démocratie. Quelle démocratie ? Peut-on parler de démocratie dans une monarchie ? Une seule personne ne peut pas être Président dans un pays. La démocratie voudrait que si je suis président, qu’au terme de mon mandat, je m’en aille pour que quelqu’un d’autre, élu démocratiquement, prenne la relève.

Qu’avez-vous, du fond du cœur, envie de dire à l’heure actuelle au Président Compaoré ?

Je lui dirais d’écouter la voix de son peuple. Je souhaite également qu’il s’arrête, ne serait-ce qu’un instant, pour ausculter sa manière de gérer le pays. Plus rien ne va. La Justice est en panne si bien que le peuple finit par se faire justice. Et on est surpris qu’on parle d’incivisme. Cet incivisme est la résultante de la malgouvernance. Que Blaise Compaoré fasse sa propre lecture. Qu’il fasse attention parce que le CDP est en train de le pousser pour qu’il tombe dans le ravin.

Quel regard critique portez-vous sur le « Blaise Compaoré » de la période révolutionnaire et le « Blaise Compaoré » d’aujourd’hui ?

On ne peut pas juger le « Blaise Compaoré » de la période révolutionnaire. C’était véritablement un travail d’équipe. Nous agissions ensemble et nous avions comme chef, Thomas Sankara. La Révolution démocratique et populaire a entraîné une prise de conscience et une marche vers un véritable développement. Par contre, le « Blaise » d’aujourd’hui est un « Blaise » de la droite. Le régime qu’il a mis en place est un régime de droite. Il y a une cacophonie au sein du CDP. Certains prétendent que c’est un parti de gauche. Des gens qui s’enrichissent de façon insultante, un embourgeoisement démesuré… et ils veulent nous parler de démocratie. Nous condamnons le système que Blaise Compaoré a mis en place après le coup d’Etat du 15 octobre 1987.

Vous prônez donc le retour de la Révolution ?

Pensez-vous que sans la Révolution, le pays peut véritablement décoller ? Il y a eu tellement de vols, de corruption, d’injustice dans ce pays qu’il faut une Révolution pour redresser la situation. L’Etat a été volé et il faut restituer les biens volés. Pour cela, il faut nécessairement une révolution.

Ça fait penser aux Tribunaux populaires de la Révolution…

Il faut le retour des TPR ! C’est une obligation pour que ce pays puisse s’engager résolument pour le développement. Les TPR ne sont pas mauvais en soi. La justice est publique. Il n’y a pas de possibilité de mentir ou de corrompre un juge. Quand le tribunal est populaire, il est obligé d’être véridique.

S’il fallait relancer la Révolution, qu’auriez-vous particulièrement corrigé ?

Que reproche-t-on à la Révolution ? On tente de l’incriminer mais on n’arrive pas à prouver qu’elle n’était pas bonne. On a ainsi parlé de la sanction infligée à des enseignants. 2000 d’entre eux avaient été licenciés. Mais la Révolution avait recruté 4000 pour les remplacer. Et cela a apporté un bon qualitatif à l’éducation au Burkina. Mais les détracteurs évitent d’apporter cette précision. Aujourd’hui, ces efforts ont été hypothéqués. On gonfle plutôt les chiffres pour avoir des financements. L’Etat est démissionnaire, le corps enseignant abandonné. Est-il normal que des cours soient de nos jours dispensés sous des paillotes ? C’est pourtant une réalité dans notre pays. Au même moment, les dirigeants sont des milliardaires. La Révolution, c’est la rigueur. On ne peut pas permettre ça. Il faut la Révolution pour mettre de l’ordre.

Quel souvenir particulier gardez-vous de Thomas Sankara ?

C’était un homme très sobre, très honnête. Il aimait son pays et son peuple. Et c’est ce qui l’a amené à se suicider.

Ah bon ? Il s’est suicidé ?

Bien sûr. Il savait qu’on allait le tuer et il a accepté de mourir. Donc, c’est un suicide. Ce que je vous raconte, c’est du vécu. Nous en avons discuté ; ses proches savaient très bien qu’on allait le tuer.

Vous en avez, dites-vous, discuté. Que vous êtes-vous concrètement dit ?

Il fallait arrêter ceux qui voulaient le tuer. Mais il n’était pas d’accord. Les termes sont clairs : si nous arrêtions ceux qui voulaient réaliser le forfait, ce serait mal interprété. On dira que ce sont les leaders de la Révolution eux-mêmes qui sont en train de tuer la Révolution. Ce serait vraiment un très mauvais exemple. Sankara ne voulait pas qu’on les touche. A moi, il a dit : « Laisse-les nous tuer ; les gens parleront de nous demain ». En fin de compte, je lui ai proposé de démissionner pour éviter le pire. Et à ce sujet, j’ai un témoin. L’aide de camp, Etienne Zongo, était chez moi et je lui ai dit d’aller le chercher pour qu’il vienne à Koudougou. C’est à partir de Koudougou qu’il devait annoncer sa démission le 14 octobre. La tension montait et nous savions qu’il allait être tué. On cherchait, coûte que coûte, à le buter. Blaise Compaoré lui-même sait qu’on ne pouvait pas arrêter Sankara.

Pourquoi n’a-t-il pas finalement démissionné ?

Il était d’accord pour démissionner mais il n’a pas eu le temps. On ne lui a pas permis de le faire. J’ai dit à l’aide de camp de lui dire d’être à Koudougou le 14 octobre au soir. Mais il est revenu sans Thomas. Si ce dernier était venu, il aurait fait sa déclaration de démission à Koudougou. Il m’a appelé, le même jour à 22h pour me dire qu’il a reçu le message et qu’il arrivait. Je lui ai dit de se dépêcher. Mais finalement, il n’est pas arrivé. Ce que je vous dis, c’est la vérité. Je jure sur la tombe de Thomas Sankara. S’il était venu, nous allions le sauver. Je me dis que c’était écrit là haut que Thomas devait être assassiné. Sa mort n’a pas entaché sa grandeur. Il en avait conscience. Si moi, je meurs aujourd’hui, je serais mort à l’aise parce que je ne me reproche rien.

Et quand il vous a dit « Laisse-les nous tuer… ». De qui parlait-il exactement ?

Dans notre groupe, nous savions que c’était Blaise qui organisait tout cela. C’est lui qui a organisé l’assassinat, pas quelqu’un d’autre.

Qu’est-ce qui vous permettait de dire que c’était Blaise Compaoré ?

Ça, c’est un travail de gendarmerie. Nous étions très informés. Blaise et ses amis avaient même diffusé des tracts. Un jour, la vérité éclatera concernant cet assassinat. Il y a des témoins toujours vivants. Tout le monde n’est pas mort. Le bon Dieu a sauvé certains et les a maintenus en vie pour pouvoir transmettre la vérité aux générations présentes et futures. Le coup d’Etat a été sciemment préparé. Ils ont d’abord créé la zizanie pour isoler le Président. Ils ont tout fait pour l’abattre moralement. Sankara lui-même a contribué à démobiliser les gens qui étaient autour de lui. Ces derniers voulaient agir pour éviter que le Président soit atteint. Mais Thomas ne voulait pas que ses adversaires soient tués, ni arrêtés. Finalement, c’est comme si nous le regardions en train de mourir parce que nous savions qu’il allait être tué. Il le savait aussi et l’a même dit à un certain moment. Il est sur un précipice ; le danger est imminent mais il est obligé d’aller de l’avant, pas question de reculer. Nous savions qui était derrière le coup. Mais il a refusé de nous laisser agir.

Dans le livre « Sankara, Compaoré et la Révolution burkinabè » de Ludo Martens, Gilbert Diendéré affirme que Sankara a été le premier à tirer, et que c’est en ce moment que les hommes qu’il conduisait, qui devaient arrêter le Président, ont ouvert le feu. Etes-vous de cet avis ?

C’est faux ! Archi faux ! Diendéré a fait cette déclaration pour tenter de sauver les meubles. Sankara ne peut pas avoir été le premier à tirer.

Savez-vous qui étaient les hommes conduits par Gilbert Diendéré ce jour-là ?

Je sais seulement qu’il y avait une quinzaine d’éléments. Je n’étais pas là. Je savais qu’on devait « prendre » Thomas et me tuer aussi. Je devais être au Conseil, avec Sankara et les autres, pour une réunion à 20h. J’ai donc décidé d’être là pour la réunion et repartir juste après. J’avais prévu d’arriver au Conseil à 18h. L’assassinat a eu lieu peu après 16h.

Vous dites avoir connaissance de témoins de cet événement tragique qui feront un grand déballage. Mais cela a trop traîné. L’assassinat a eu lieu depuis 25 ans…

Comme le peuple a fortement commencé à s’exprimer à travers la marche du 29 juin, j’espère que ça ne durera plus longtemps. Ces témoins vont pouvoir servir la vérité au peuple. Nous souhaitons qu’il y ait un changement sans qu’il y ait de bain de sang. Ce serait dommage qu’on rétablisse la vérité historique pendant qu’il y a des absents. Blaise Compaoré doit être là au moment du déballage.

Les témoins dont vous parlez sont ceux qui étaient là le jour de l’assassinat ?

Certains font parti de ceux qui ont tiré sur Sankara et ses compagnons ce jour-là ; d’autres font partie de ceux qui ont organisé l’assassinat ; d’autres encore font partie de ceux qu’on voulait tuer mais qui ont échappé à la barbarie. Il y a des témoins qui veulent s’exprimer, mais ils attendent le moment opportun.

Vous avez échangé avec eux. Que vous ont-ils dit par exemple concernant le coup d’Etat du 15 Octobre ?

Si je vous dis ce qu’un témoin a dit, je suis obligé de donner son nom.

Dites-le nous sans citer de nom…

Pour le moment, je ne peux pas tout vous dire.

Ok, un petit morceau alors !

Toute la journée du 15 octobre, il était prévu que Thomas ne sorte pas de chez lui. Ainsi, toute la matinée, il est resté à la maison. Mais je ne sais trop par quelle acrobatie, le soir, il a décidé d’aller au sport de masse. Il était en tenue de sport et devait participer, par la suite, à la toute première réunion du Secrétariat du Conseil national de la Révolution qui devait commencer à 20h. Vers 16h, il était au Conseil. Et c’est là qu’il a été encerclé. Il fallait le buter. Etant donné que tout le monde était découragé, si on le butait, ses proches n’allaient pas réagir. Tout le monde allait s’affaler au lieu de riposter. Le plan était bien tracé. Quand Thomas a quitté le Palais pour aller au Conseil, l’un des éléments qui le suivaient a téléphoné à ceux qui devaient l’abattre. Il leur a dit : « Vers vous l’oiseau ! ». C’est un terme militaire qui signifie qu’il arrive. Et ensuite, du côté de Thomas, il y a eu une communication qui disait à peu près ceci : « PF, c’est grave. Revenez ». Peu après, on a entendu les coups de feu. Les témoins sont là. Ils diront, le moment venu, toute la vérité.

Blaise est aujourd’hui embarrassé. Il est dans l’incapacité de réhabiliter Thomas Sankara. Tant que ce régime, ce Front populaire, créé après l’assassinat, sera en train de gérer le pouvoir, Sankara ne sera jamais réhabilité. On ne peut pas tuer quelqu’un et le décorer. C’est un autre régime qui peut décorer Thomas. Pas le régime de Blaise.

Selon vous, Sankara a-t-il été vraiment enterré au cimetière de Dagnoën comme on le prétend ?

Je pense que oui. Mais c’est sûr que quand l’alcool a lâché les assassins de Thomas, ils étaient gênés. Je sais aussi que ce sont les prisonniers de la MACO qu’ils ont envoyés enterrer Sankara et les 12 autres personnes tuées. Les enterrements ont eu lieu de 21h à l’aube. Ce n’est pas facile de creuser treize tombes. C’est ce qui fait que dans un premier temps, ils ont été enterrés, mais dans certains cas, on voyait certaines parties du corps. La grande question, c’est de savoir quelle est exactement la tombe de Thomas. Il y a une épitaphe portant son nom sur l’une des tombes, mais est-ce vraiment la sienne ? Et comme le doute persiste, la famille de Sankara a demandé une expertise afin de savoir si c’est vraiment le corps de Thomas qui est dans la tombe indiquée. Mais le régime de Blaise Compaoré refuse. C’est sans doute gênant pour lui parce qu’il n’a pas la conscience tranquille. Il oublie que le fait de refuser l’expertise agrandit le doute sur le fait que ce soit Thomas qui soit dans cette tombe. Mais nous insistons sur la nécessité de faire l’expertise afin de savoir où est notre très cher héro. Si cela les indispose, c’est leur problème.

Vous parlez souvent de Salif Diallo. Qu’est-ce qu’il a à voir dans cette affaire ?

Il fait partie des civils qui, après l’assassinat, ont aidé le régime Compaoré à faire de la théorie révolutionnaire. Mais leur erreur, c’est qu’ils se sont ligués à un régime qui n’était pas révolutionnaire et dont l’objectif était d’assassiner la révolution pour instaurer un régime de droite.

Pendant que vous étiez en exil, il vous a envoyé une correspondance qui contenait des termes caustiques. Que vous a-t-il dit exactement ?

J’ai toujours la lettre. C’était au moment où les tenants du régime avaient entamé des négociations pour que je revienne au Burkina. On me disait d’écrire pour poser mes conditions. J’ai écrit au chef de l’Etat et j’ai posé trois conditions : amnistie générale, réhabilitation de Thomas Sankara et liberté d’expression. C’est suite à cela que la lettre de Salif Diallo est arrivée. Il m’a traité d’apatride. J’ai toujours la lettre, je la publierai au moment opportun. Je connaissais bien Salif Diallo. Mais il a commis la gaffe de ne pas lire derrière le mur. Il s’est mêlé à la droite falsifiée, à une Révolution mal colorée. J’ai fait lire la lettre devant des témoins à l’ambassade du Burkina au Ghana où j’étais. Ils m’ont envoyé une deuxième lettre en 1991. Dans ma réponse, j’ai ajouté d’autres conditions aux trois premières : je leur ai dit que je voulais rencontrer l’un d’entre eux, en l’occurrence le Général Gilbert Diendéré (il était capitaine à l’époque). J’ai par ailleurs demandé que la réponse soit écrite par Blaise Compaoré lui-même. Je voulais qu’il exprime personnellement, sur papier, ce qu’il a dans la tête. Et c’est ce qu’il a fait. J’ai toutes ces lettres avec moi. S’ils essaient de contester, je vais aller en profondeur. Actuellement, je parle avec réserve. Qu’ils sachent que je vais dire aux citoyens burkinabè ce que je sais parce que je ne veux pas mourir avec la vérité.

Justement à propos de vérité, Blaise Compaoré affirme que, le 15 octobre, il était malade, couché, lorsqu’il a entendu les coups de feu. Cela est-il, selon vous, fondé ?

Blaise Compaoré était au courant de tout. Il ne peut pas dire qu’il était malade. Ce n’est pas vrai.

Dans le livre de Ludo Martens, Gilbert Diendéré affirme qu’il était avec ses hommes sur le terrain, pas pour tuer Sankara mais pour l’arrêter. Il y avait qui d’autre à ses côtés ?

Je ne saurais vous le dire. Moi je n’étais pas sur place. Les témoins parleront le moment venu. Vous pouvez aussi poser la question à Gilbert et à Blaise. Ils savent tout. Mais ils cherchent à sauver la face. Ils sont sérieusement gênés. Ils ont réalisé le forfait et maintenant, ils sont confrontés à l’histoire. Ils cherchent à arranger la situation mais ce n’est pas arrangeable.

Qu’avez-vous, du fond du cœur, envie de dire pour terminer cet entretien ?

Le régime Compaoré est fatigué. Qu’il permette à d’autres personnes de gouverner. Blaise et ses camarades ont suffisamment « mangé » ; qu’ils se retirent et nous collent la paix. Le peuple burkinabè, qui croupit dans la misère, doit savoir qu’il n’y a que dans le combat qu’on se libère. Il faut que le bien-être soit démocratisé au Burkina. Le régime parle de 700 milliards de chiffre d’affaires générés par l’or au Burkina, mais on ne ressent pas cela dans le quotidien des Burkinabè. Où va l’argent de l’or ? Il faut que le peuple dise non à cette frange de « pourriture » qui nous dirige.

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK


Témoignage de… Blaise Compaoré Retour à la table des matières

Blaise compaore"L’après-midi du 15 octobre, j’étais chez moi au salon avec Salif Diallo, lorsque vers 16h je croyais entendre le bruit de détonations. Je suis sorti et j’ai demandé aux gardes s’ils avaient entendu des coups de feu. Ils ont dit non et je suis rentré. Mais ensuite j’entendais clairement les tirs, je pensais qu’ils venaient du côté de la Présidence et qu’ils s’approchaient. J’ai pris mon arme et Salif Diallo et moi, nous nous sommes planqués contre le mur de l’autre côté du goudron. Les gardes nous ont fait rentrer. Vers 16h30, Mariam Sankara m’a téléphoné pour savoir ce qui se passait. J’ai dit que j’allais vérifier et que je la rappellerais. Ensuite, Lengani a appelé et nous avons décidé d’aller voir ensemble. Il est arrivé chez moi et il a téléphoné aux différentes unités pour les mettre en alerte. A 17h enfin, j’ai eu le standard de Conseil. Je l’entendais mal. Il m’a dit qu’il se cachait sous le bureau et que Sankara et d’autres camarades étaient morts. Lengani et moi, nous nous sommes rendus au Conseil et nous avons vu les cadavres. J’étais vraiment très dégoûté. Un soldat m’a dit : il voulait vous tuer à vingt heures, alors nous avons décidé de l’arrêter."

Extrait de l’œuvre « Sankara, Compaoré et la Révolution burkinabè » de Ludo Martens


Témoignage de… Gilbert Diendéré Retour à la table des matières

Gilber"Nous savions que Sankara avait une réunion au Conseil à seize heures et nous avons décidé d’aller l’arrêter là-bas… Peu après seize heures, la Peugeot 205 de Sankara et une voiture de sa garde sont arrivées devant la porte du pavillon ; une deuxième voiture de la garde est allée stationner un peu plus loin. Nous avons encerclé les voitures. Sankara était en tenue de sport. Il tenait comme toujours son arme, un pistolet automatique, à la main. Il a immédiatement tiré et tué un des nôtres. A ce moment, tous les hommes se sont déchaînés, tout le monde a fait feu et la situation a échappé à tout contrôle. Des personnes qui l’attendaient à l’intérieur du bâtiment sont venues à sa rencontre ; d’autres sont sorties quand elles ont entendu des coups de feu. Parmi ceux qui sont tombés, il y avait Patrice Zagré, un homme avec qui nous avons beaucoup travaillé et dont tout le monde a regretté la mort. Les gardes de corps de Sankara dans la deuxième voiture n’avaient pas réagi ; ils ont simplement été désarmés."

Extrait de l’œuvre « Sankara, Compaoré et la Révolution burkinabè » de Ludo Martens


Témoignage de… Valère Somé Retour à la table des matières

Valere Some"Il était environ 16h 15 mn lorsque la Peugeot 205 noire présidentielle se gara devant le pavillon " Haute-Volta" du Conseil de l’Entente, suivie d’une voiture blanche de marque japonaise dont les occupants étaient quelques gardes du corps du Président. Le Président descendit de sa voiture et entra dans le pavillon où l’attendait tout le personnel nouvellement choisi pour faire partie du Secrétariat de la présidence du CNR qui se réunissait une fois par semaine. A peine la réunion venait-elle de commencer, qu’une autre voiture, une Peugeot 504, pénétra dans l’enceinte du Conseil de l’Entente et se dirigea tout droit vers la voiture présidentielle. Le Caporal Maïga (l’un des gardes du corps de Blaise Compaoré) en descendit pour braquer le Sergent Der Somda, chauffeur du PF. Au même moment, une Galante bleue, conduite par le Sergent Yacinthe Kafando (l’aide de Camp de Blaise Compaoré), pénétra en trombe dans l’enceinte, et fonça droit sur le pavillon "Haute Volta". Le gendarme Soré et le soldat de 1ère classe, Ouédraogo Noufou, avant qu’ils ne réalisent ce qui leur arrivait, furent écrasés contre le mur du pavillon. Au même moment, le Caporal Maïga abattait à bout portant le Sergent Der Somda. Dans la foulée, les assaillants descendus des deux voitures déclenchaient un feu nourri sur tous ceux qui se tenaient debout aux alentours du pavillon où le Président du CNR était en réunion avec son secrétariat. A l’intérieur, les premiers instants de surprise passés, tout le monde se précipita derrière les fauteuils pour y trouver refuge. Se ravisant, le Président Thomas Sankara se leva, poussa un soupir et s’apprêta à se rendre en s’adressant à ses collaborateurs : "Ne vous en faites pas, c’est à moi qu’ils en veulent."

Les mains en l’air, tenant son revolver de parade, il franchit le seuil de la porte et s’engagea dans le couloir à la rencontre des assaillants. Le Sergent Yacinthe Kafando et le Caporal Nadié se trouvèrent face à face avec le Président du Faso, le braquant avec leur Kalachnikov. Une première décharge lâchée par le Caporal Nadié atteint le Président Thomas Sankara à l’épaule. Malgré la blessure, il réussit à se replier dans le couloir. Il essaye d’ouvrir la porte du premier bureau, mais ses occupants se sont enfermés à clef au bruit des tirs.

Nul ne saura ce qui s’est passé dans la tête du Président du Faso pour qu’il revienne sur ses pas et reçoive la mort des mains de ses assassins. Une seconde balle l’atteint au front. Il chancelle, se retrouve sur les genoux : pendant quelques secondes, puis s’écroule sans avoir pu, ni dire un mot à ses tueurs, ni faire un geste quelconque qui prouve qu’il avait, l’intention de se défendre.

De tous ceux qui étaient avec le Président Thomas Sankara ce jour-là, un seul a miraculeusement échappé à la boucherie : Alouna Traoré. Et il soutient que le Capitaine Gilbert Diendéré n’était pas au nombre des assaillants. Celui-ci ne fera son apparition que beaucoup plus tard. Un autre témoignage concordant affirme que c’est le Capitaine Diendéré qui est intervenu pour arrêter le massacre gratuit. Après avoir constaté la mort du Président Thomas Sankara, il se serait réfugié dans la pièce du Conseil de l’Entente pour s’effondrer en pleurs. C’est par la suite qu’il se serait ressaisi afin de s’investir pour limiter les dégâts. C’est dire qu’il persiste des zones d’ombres sur les circonstances de l’assassinat du Président Thomas Sankara."

Extrait du livre "Sankara, l’espoir assassiné" de Valère Somé

Source : Courrier confidentiel N° 37 du 10 juillet 2013 duhttp://courrierconfidentiel.net/index.php/affaires-brulantes/528-boukari-kabore-dit-le-lion-du-bulkiemde



27/01/2014
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres