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Amnistie des Chefs d’Etat : De l’audace pour la paix et le changement

Amnistie des Chefs d’Etat : De l’audace pour la paix et le changement

Le Burkina Faso sort lentement d’une crise multidimensionnelle : crise de croissance démocratique, de gouvernance, de citoyenneté et de déficit de rédistribution des fruits de la croissance. Déjà en 1999, le Collège des Sages, dans son rapport, faisait l’analyse suivante : « La crise actuelle que notre pays traverse depuis quelques mois est réelle et profonde. Elle n’est pas que conjoncturelle ; elle est structurelle. Elle s’étend à tous les secteurs de la vie nationale et touche toutes les couches de la population. Elle se manifeste dans le domaine social et culturel, politique et administratif, économique et enfin au niveau éthique… ».

La récente crise manifeste depuis le premier semestre 2011 est à la fois politique, sociale, culturelle, économique, entre autres. Il est faux de prendre en compte un aspect et d’occulter les autres. Le traitement doit tenir compte de tous les paramètres. La paix est la résultante de plusieurs choses. L’amnistie proposée par le CCRP et consolidée par les assises nationales sur les réformes politiques fait l’objet de la présente réflexion. Elle fait la preuve de la hauteur d’esprit du peuple burkinabè prêt à se surpasser pour avancer vers un futur maîtrisé.

Il y a dans la marche de toute communauté humaine des périodes de rupture et de remise en cause. Les choses et la réponse aux situations échappent souvent à la compréhension et à la maîtrise des premiers responsables de la nation. Des individus ou des groupes d’individus se sentent délaissés ou victimes d’injustice et de crimes divers par le fait de la puissance publique. Déjà en 1987, le président Blaise COMPAORE était conscient de cette réalité : « L’accélération de l’histoire fait défiler les évènements à une allure telle que la maîtrise par l’homme des faits devient impossible, rendant celui-ci artisan de situations non désirées. Les instants tragiques que nous avons vécus, le 15 octobre courant, font partie de ces types d’événements exceptionnels que nous fournit souvent l’histoire des peuples ».

Ces manquements graves, connus et reconnus par tous, doivent être exorcisés pour un passé et un présent assumés et un futur maîtrisé. La vérité est donc connue et il faut tourner la page, avec audace, tolérance et pardon comme l’invite l’Homme d’église, Mgr Anselme T. Sanou : « Chacun a besoin de la paix de tous et nous avons besoin de la paix de chacun ».

Dans certaines situations, l’audace, l’humilité et la responsabilité sont indispensables pour restaurer la confiance et indiquer la voie. En rappel, le 30 mars 2001, le Président du Faso, en toute humilité, demandait pardon en ces termes : « En cet instant solennel, en notre qualité de président du Faso assurant la continuité de l’Etat, nous demandons pardon et exprimons nos profonds regrets pour les tortures, les crimes, les injustices, les brimades et tous les autres torts commis sur des Burkinabé par d’autres Burkinabé, agissant au nom et sous le couvert de l’Etat, de 1960 à nos jours ».

Une décennie plus tard, le 30 mars 2011, il s’adressait une fois encore à la nation pour appeler à l’apaisement, au dialogue et à la concertation pour restaurer la quiétude et la paix entamées par les manifestations violentes de scolaires, d’étudiants, de commerçants et de militaires. Sa volonté de trouver une issue à la crise a été très explicite dans son message à la nation : « J’en appelle au sursaut des forces politiques et sociales empreintes de patriotisme et de civisme, afin que le respect de la République et du patrimoine commun soit davantage enraciné. C’est dans le but de promouvoir ces valeurs que j’ai invité l’ensemble des acteurs politiques à mûrir les réflexions sur les réformes indispensables à l’approfondissement de la démocratie, au raffermissement de notre système de gouvernance politique et institutionnelle. Les décisions issues de ces concertations seront immédiatement appliquées pour renforcer nos acquis ».

Le processus de réformes politiques et institutionnelles, depuis la collecte des propositions jusqu’aux assises nationales en passant par la session du CCRP et les rencontres régionales entre mars et décembre 2011, constitue un test réussi de la capacité de notre peuple à se remettre en cause, à préserver l’essentiel et à bâtir le futur. L’une des décisions les plus emblématiques de ces assises demeure la proposition de l’amnitie des Chefs d’Etat de l’indépendance à nos jours.

L’amnistie est la traduction en action de la valeur de pardon qui caractérise les sociétés burkinabè. Elle permet de solder courageusement le compte avec l’histoire afin de s’engager dans une nouvelle marche de responsabilité, de compréhension et de respect mutuel. Le pardon joue un rôle essentiel en tant que transaction à travers laquelle, celui qui avoue sa faute se voit accorder le bénéfice de la rémission de ses péchés. Il constitue une étape indispensable pour toute réconciliation, pour bâtir ensemble un avenir radieux. En reconnaissant en 2001 les manquements de l’Etat depuis l’indépendance et en tendant la main en 2011 à toutes les composantes de la nation pour sauver le pays, le premier magistrat à fait preuve de reconnaissance de la réalité critique et de l’insuffisance de la gouvernance, source de toute la soif de justice et de liberté revendiquée malheureusement de manière violente. Il s’agit là d’une responsabilité d’une nation en quête de bien-être, en mal en sa démocratie et en sa citoyenneté.

L’amnistie en soi est apaisante et ouvre la porte des possibles, de l’espérance et du changement approprié. Elle symbolise le devoir de reconnaissance des mérites de ceux qui ont assumé des responsabilités au plus haut niveau et de tolérance de leurs actes manqués, sans oubli, pour la paix et le progrès. L’amnistie constitue une leçon d’éthique et de violence sur soi d’un peuple en quête d’un co-devenir harmonieux, paisible et prospère. Loin d’être une démission, l’amnitie est une victoire sur les faiblesses humaines. Si le peuple décide d’accorder l’amnitie à ses Chefs d’Etat de l’indépendance à nos jours, cela répond à la philosophie de la sage de Taïwan, Maître Cheng qui affirme que « Quand la justice est de votre côté, vous devez parler doucement. Quand la raison est de votre côté, vous devez pardonner aux autres ».

Un peuple grandit par sursaut et par audace sur lui-même et sur son passé en niant la loi du silence, en se regardant dans le miroir et en assumant ses forces et ses insuffisances à l’image des échanges courageux lors des assises nationales. L’amnistie en est un outil d’action. Il faut avoir l’audace de tourner la page afin que rien ne soit plus comme avant, que chaque citoyen fasse preuve de changement dans sa tête et dans son comportement pour qu’émerge un Burkina Faso de concorde, de respect mutuel, de progrès et de paix. Pour rendre opérationnel le nouveau contrat social, il faut davantage de dialogue et de concertation pour suivre, évaluer et interpeller tous les acteurs sur leurs responsabilités individuelles et collectives.

L’histoire d’un pays ne doit pas être un éternel recommencement. Il faut que ça change. En 2011, on a eu l’impression de vivre les mêmes réalités avec plus d’entensité qu’entre 1998 et 2001 et d’entendre les mêmes propos à savoir l’invitation faite aux Burkinabé à se pardonner mutuellement pour les torts causés ou subis dans le règlement des différends politiques ou autres et à bannir à jamais la violence. Si nous croyons aux vertus du pardon comme une chose sacrée, consistant à remettre à Dieu ce qui s’est passé nous permettant d’accepter ce qui s’est passé au nom de l’intérêt supérieur de la nation, il faut résolument faire nôtre cette citation d’Albert Einstein : « La folie, c’est de faire tout le temps la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».

Dr Poussi Sawadogo
Animateur/Facilitateur de processus de changement
Enseignant à l’ULB/ Doyen du CRYSPAD



12/01/2012
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