Abououoba

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Affaire DSK: Si c’était à Ouagadougou ?

 

Le fait divers du siècle s’est produit à New York dans un hôtel Sofitel : une agression sexuelle avec pour victime Nafissatou Diallo d’origine guinéenne et pour présumé auteur le directeur du Fonds Monétaire international (FMI), le Français Dominique Strauss Kahn(DSK) qui était avant le drame le chouchou des sondages à la future élection présidentielle française, s’il se présentait à cette élection. Le monde entier a pu voir la magnificence de la justice américaine qui ne fait pas le tri entre les puissants et les faibles. On peut ne pas aimer cette surexposition médiatique d’un prévenu (innocent jusqu’au jugement), mais rien dans la loi américaine ne l’interdit. Vu de Ouagadougou, terre de l’impunité à nulle autre pareille, nous sommes éblouis par cette inculpation d’un des patrons du monde. Qu’est-ce que cette affaire DSK dit de nos « ancêtres les gaulois » si on analyse les commentaires passionnés qu’ils en font ? Que dit l’Amérique de cette inculpation et ce séjour derrière les barreaux d’un homme politique puissant, riche et disposant d’un réseau étendu et immense de relations dans le monde ? Et si c’était à Ouagadougou ?

Nafissatou Diallo en tant que pieuse musulmane peut bénir le ciel que ce drame ne lui soit pas arrivée à Ouagadougou, mais cela ne peut pas la consoler car elle est marquée au fer rouge par cette agression qu’elle ne pourra jamais oublier et qui a bouleversé sa vie à jamais. Plus rien ne sera comme avant pour elle car pour toutes les victimes de viol, la vie porte pour toujours les stigmates de cet évènement : la rencontre brutale du désir d’un autre qui ne s’embarrasse pas d’un avis, d’un consentement, de plaisir partagé et veut être assouvi par la force, la contrainte. Si c’était à Ouagadougou que ce viol avait été commis par un puissant, ne serait-ce que le planton du FMI de Washington ou un des agents du FMI à Ouagadougou, tout aurait été mis en place pour que la pauvre victime ne porte pas plainte. La première barrière viendrait de la direction de l’hôtel, qui menacerait la pauvre femme de chambre de licenciement si elle n’arrête pas de « calomnier son client ». Si malgré tout elle franchit cet obstacle et va à la police, l’agent qui l’entendra, refusera de taper sa déposition si elle met en cause un puissant (pour ne pas avoir de problèmes). Si par extraordinaire la pauvre victime tombe sur un agent courageux, l’affaire sera étouffée par le commissaire de police. Si l’affaire passe cette autre barrière là, ce sera au niveau du procureur. Dans tous les cas le puissant sortira du tribunal lavé de tout soupçon, si l’affaire arrive, malgré tous les obstacles qui seront dressés sur son chemin, en justice. Ce sentiment qu’une telle affaire de viol qui aurait pour protagoniste un puissant et une personne modeste n’aurait jamais pu aboutir à une inculpation et une arrestation du « gros bonnet », est l’opinion de bon nombre de burkinabé. Cette hypothèse trouve son origine dans la difficulté de faire confiance à la justice de notre pays. Parvenir à se faire entendre par la justice dans notre pays, quand l’affaire met en cause les classes supérieures et aisées contre des personnes de faible extraction, d’origine modeste, pauvres et travailleuses, est une mission impossible. La très longue impunité que nous vivons explique les réticences des étudiants à croire le pouvoir quand il parle de juger les récents crimes dans la région du centre-ouest. C’est une leçon de la vie. Il n’y a pas de précédent de justice rendue sur les crimes où les puissants et le pouvoir sont suspectés. Nous avons une justice à deux vitesses : une pour les pauvres et une pour les riches. Prenons un exemple où il s’agit de mort d’homme pour emprunter l’expression du français Jack Lang volant au secours de son camarade de parti et de classe sociale : l’assassinat du chauffeur du frère cadet du président Blaise Compaoré. Quand la famille a porté plainte contre François Compaoré, le frère puîné du président, le procureur de l’époque a refusé d’enregistrer la plainte. Le juge courageux qui a convoqué François Compaoré pour venir répondre à ses questions dans son cabinet non seulement n’a jamais pu entendre François Compaoré, mais a vu sa carrière brisée. Pourquoi l’affaire Norbert Zongo s’est terminée par un non-lieu, alors que les assassins de David Ouédraogo étaient les plus suspectés par la Commission d’enquête indépendante (CEI) ? Pourquoi le juge Wenceslas a-t-il décidé de n’inculper qu’un seul, celui qui était rongé par la maladie et de le disculper ? Si on considère les affaires de viol dans notre pays, très peu arrivent au tribunal. Ce sont le plus souvent celles qui concernent les petites filles qui sont les plus susceptibles de connaître un dénouement judiciaire. Pour les femmes adultes, elles sont étouffées par les familles, les relations, toute la société qui se ligue contre la pauvre victime pour qu’elle ne fasse pas la publicité sur ce qu’elle considère comme un outrage, mais dont la publicité pour elle est plus infamante, plus criminelle que le crime lui-même. Le drame c’est que la société protège les criminels qui font cela. Au lieu de les traîner devant les tribunaux et de les faire juger, cette omerta conduit à faire de la victime une coupable. Dans notre pays, un viol commis par un homme, reconnaissons le, même le plus modeste d’entre eux, sur une femme ou une jeune fille a très peu de chance d’aboutir devant les tribunaux. Mais si DSK était prévenu pour les mêmes faits en France, nous sommes portés à croire, vu le nombre de soutiens qu’il a eu de l’establishment français : la classe politique, les écrivains et les journalistes qu’il quitterait le tribunal libre et lavé de tout soupçon. Son camarade de parti dit qu’il n y a pas eu mort d’homme, un journaliste de ses amis dit qu’il s’agit d’un troussage de domestique. C’est dire que ses hommes ne sont pas prêts à voir leur ami, leur champion aller en prison même s’il est coupable. La France reste encore un pays de machos et les socialistes Ségolène Royal et Martine Aubry, si elles sont choisies l’une ou l’autre par les militants socialistes, ne seront jamais présidente de ce pays qui n’accorde pas la place qui revient de droit aux femmes. Cela donne à réfléchir sur la qualité de l’Etat de droit dans ce pays, si on peut penser qu’une forte coalition de classe peut se dresser pour protéger l’honneur perdu d’un puissant. On a beau ne pas aimer l’Amérique, mais elle vient de frapper un grand coup promotionnel pour la démocratie et l’indépendance de sa justice, une démonstration mille fois plus brillante que les guerres en Irak et en Afghanistan. Que le pays qui peut se taper la poitrine d’inculper et d’envoyer dormir en prison le directeur du FMI, d’inculper son propre président comme Bill Clinton se lève et nous dise. Yes we can !

Sana Guy



15/08/2011
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